A l’étranger, le constat d’échec de l’organisation des élections est sans appel. Quoi qu’on puisse dire, l’ISIE a manqué le rendez-vous historique, et quel que soit le résultat final du dépouillement, le scrutin législatif est loin d’être transparent, démocratique et représentatif pour l’ensemble des Tunisiens résidant à l’étranger.
Avec un taux de participation relativement bas, comparé au poids réel des Tunisiens de l’étranger, l’ISIE n’a fait que cueillir, depuis l’ouverture des inscriptions jusqu’à l’opération de vote, les fruits de ses errements et des obstacles multiples qui ont entravé le bon déroulement du processus électoral. Le dernier en date est la privation pure et simple de plusieurs centaines de citoyens à travers le monde de leur droit de vote faute de traces de leurs inscriptions dans la plateforme informatique des élections.
Dans certains bureaux, le nombre de citoyens empêchés de voter, de manière souvent inélégante pour ne pas dire brutale, a frisé les 25%. Durant ces trois jours, les élections se sont déroulées dans une atmosphère de colère et d’indignation. Des rassemblements de protestation des « déboutés du scrutin » ont eu lieu un peu partout, nécessitant parfois l’intervention des forces de l’ordre, notamment le vendredi 24 octobre devant le consulat général de Paris.
L’incompétence des membres de l’ISIE et des Iries, chargés de veiller à la bonne marche du processus électoral, est flagrante, mais cela ne suffit pas à expliquer la série de mesures tout aussi incompréhensibles que contradictoires au regard de la volonté affichée de faire participer le plus grand nombre de citoyens aux élections. Nos craintes et nos doutes trouvent en effet leur confirmation rien qu’en passant en revue quelques séquences chronologiques à titre indicatif et non exhaustif :
- L’actuelle Instance a été désignée sur la base d’un quota partisan, ce qui est de nature à jeter une ombre sur son indépendance.
- La période fixée pour les inscriptions des électeurs était non seulement courte mais décidée en pleine période estivale coïncidant avec le retour massif au pays, ce qui a eu comme conséquence de priver les familles, parties en vacance, d’être sous le feu des campagnes de sensibilisation. La prolongation à répétition n’a pas eu les résultats escomptés et a été loin d’impacter positivement le nombre total d’inscrits.
- La désignation des membres des Iries a été effectuée, comme pour l’ISIE, sur une base partisane, le parti majoritaire à l’ANC s’est taillé la part du lion. Par conséquent, la compétence et l’indépendance ont été les grandes perdantes dans cette opération. La nomination de ces instances n’a eu lieu qu’au mois de juin, à 2 mois des élections, si on soustrait les deux mois de vacances, considérés comme saison morte.
- Le déploiement des moyens humains, financiers et logistiques à l’étranger était dérisoire et loin de répondre aux exigences du processus électoral dans des zones géographiques éclatées que sont les circonscriptions à l’étranger. Cela explique l’échec dans la satisfaction des conditions optimum à la réussite des élections.
- Le choix de nouveaux logiciels d’inscription, développés par des personnes incompétentes, a provoqué des failles ayant entraîné un retard considérable dans l’achèvement de la première étape du processus d’inscription. Plusieurs citoyens n’ont pas pu s’inscrire dans les sièges des Iries.
- L’absence délibérée de communication avec les citoyens, imputable aux seules Iries qui ont refusé dès le premier jour toute coopération avec les composantes de la société civile, a compromis la campagne de sensibilisation et d’information destinée aux électeurs, et surtout compromis la confiance qui aurait pu être instaurée entre électeurs et responsables.
- La règle de proximité des centres de vote des lieux de résidence des citoyens, explicitée dans le code électoral, n’a pas été respectée. Plusieurs centaines d’électeurs se sont vus contraints de se déplacer parfois à des centaines de kilomètre de leur lieu habituel de résidence pour accomplir leur devoir.
- La sélection des présidents et des membres de bureaux de vote, toujours proches pour la plupart du même parti majoritaire et le rejet non justifié par les Iries de plusieurs candidats issus de la société civile, complètent ce sombre tableau et donnent une idée précise de la prise de contrôle de la totalité des instances organisatrices des élections par ce parti.
- Le jour du démarrage des élections, plusieurs changements de dernière minute des bureaux de vote ont été opérés sans en informer préalablement les concernés. L’absence d’affichage des listes d’électeurs dans les centre de vote, comme stipulé par la loi électorale, ont grandement participé à la perturbation et aux désordres durant les trois jours de scrutin.
- Au final, des centaines de nos ressortissants ayant voté en 2011, donc n’ayant pas l’obligation de se réinscrire, ou ayant été inscrits pour les élections de 2014 (certains disposaient même des preuves d’inscription) ont été surpris par la disparition de leurs noms des listes électorales. Aucune solution ne leur a été proposée par l’ISIE ou ses instances régionales, en dépit des multiples appels lancés par des organisations d’observation et des composantes de la société civile nationales et à l’étranger, afin de prendre des mesures urgentes en faveur de ces citoyens. L’Isie n’a fait montre d’aucune disposition particulière pour apporter des solutions à ces difficultés. Bien au contraire, son président a accusé « certaines parties de chercher à perturber le processus électoral à l’étranger ». Le déni de l’ISIE n’a d’égal que l’autosatisfaction et l’épanchement en auto-congratulation de ses membres sur la réussite de ces élections.
Au vu de ce constat, nous, associations, citoyens, et acteurs de la société civile à l’étranger signataires de ce texte, considérons que les bonnes conditions de l’organisation des élections des 24, 25 et 26 octobre 2014 n’étaient pas remplies pour répondre aux immenses aspirations et attentes des Tunisiens à l’étranger à participer activement à la construction de l’avenir de leur patrie.
En conséquence de quoi, nous tenons à exprimer ce qui suit :
1 – Nous condamnons l’attitude de l’ISIE vis-à-vis des Tunisiens résidents à l’étranger qui les a privés d’une partie de leurs droits à la citoyenneté.
2 – Nous croyons que l’incompétence et l’impartialité de l’ISIE, qui n’ont eu de cesse, depuis sa mise en place, de multiplier les preuves de sa volonté délibérée de décourager et de dissuader les électeurs à exercer leurs droits, ont pour objectif de circonscrire la concurrence aux seules forces politiques disposant de grandes capacité de mobilisation, et d’empêcher l’expression d’un éventuel vote sanction massif, eu égard au bilan désastreux enregistré dans le pays durant ces trois dernières années .
3 – Nous désapprouvons les conditions dans lesquelles s’est déroulé le processus électoral et refusons de cautionner l’attitude méprisante de l’ISIE vis-à-vis les électeurs résidents à l’étranger. Nous lui faisons endosser l’entière responsabilité des conséquences politiques qui découleraient des manquements qui ont entaché le présent scrutin.
4 – Nous exigeons la réalisation d’un Audit indépendant sur l’opération électorale à l’étranger (désignations des Iries, inscriptions des électeurs, listes électorales, sélection des membres des bureaux, communication etc..)
Paris, le 26 octobre 2014
Premiers signataires
- Abdelatif Ben Salem
- Anouar Kanzari
- Mouhieddine Cherbib
- Seddik Ferchichi
- Annie Novelli
- Aïda el-Amri, militante associative
- Cherif Ferjani, universitaire
- Fethi Ben Slama, universitaire
- Houda Zekri
- Néjib Baccouchi,
- Leila Zaibi, militante associative
- Noureddine Najar, Banquier-Conseil
- Sonia Fourati
- Hedi Benkraiem
- Ridha Smaoui
- Khaled Abichou