A la veille de la présidentielle, la campagne est marquée par un trop-plein de « super héros ». Il y a certes des candidats surprises, mais aussi quelques « poids lourds », des personnalités politiques, qui ont fait leurs preuves dans l’ère de transition, dans la société civile, au sein de l’opposition et du pouvoir.
L’escalade de la campagne a radicalisé les acteurs. Elle a volontiers suscité des dérives et remis à l’ordre du jour la violence. C’est dans ce cadre que s’inscrit l’agression, le 13 novembre, du Secrétaire général de l’UGTT, qui a engagé, avec ses partenaires du quartet, le Dialogue national, suscitant les accords en faveur de la constitution de consensus, la formation d’un gouvernement non-partisan et la création d’un environnement favorable aux élections. Mais la réconciliation ne semble pas le vœu de tous les acteurs.
Quel est actuellement l’état des lieux ? Appelé à former le gouvernement, étant donné sa victoire électorale, Nidaa Tounes reporte les négociations après le scrutin présidentiel. Devrait-il opter pour un gouvernement des forces démocratiques qui pourrait être en butte à l’opposition d’Ennahdha ? Ce parti pourrait constituer une minorité de blocage. Nidaa Tounes formerait-il un gouvernement d’union, assurant la participation du parti Ennahdha ?
Cela lui permettrait de limiter la capacité de nuisance de l’opposition institutionnelle et de la surenchère de ses alliés. Un tel accord mécontenterait sa base électorale et le priverait du soutien du Front Populaire et des partis rejetant l’alliance contre nature. Opterait-il pour un gouvernement technocrate, dirigé par une personnalité politique, issu de ses rangs ou de ses alliés ? Une telle configuration nécessiterait un accord, pour disposer d’une majorité, sinon d’un consensus, au sein du parlement.
De son côté, le Mouvement Ennahdha, dont les assises populaires lui ont permis de limiter les effets de la sanction populaire et d’accéder au deuxième rang, ont officiellement laissé la liberté de choix à leurs électeurs. Certains parlent plutôt d’une fausse neutralité. En effet, les réseaux sociaux et certaines associations, proches de leur idéologie défendent la candidature du président provisoire de la République. En tout cas, le positionnement d’Ennahdha exclut son investissement en faveur d’un allié quelconque. Cette situation encouragerait l’abstention ou la dispersion des voix de leurs partisans.
Les candidats des partis perdants, lors des élections parlementaires, forment une alliance contre le favori. Mais la concurrence entre cette alliance d’une telle « misery love company » disperserait leurs voix, lors du premier tour et limiterait leurs chances. Pour échapper au vote sanction, ils font valoir leur rôle en faveur de la Constitution libérale, qui est, en réalité, le produit du consensus du dialogue. Ils étaient, au préalable, en faveur de la version discriminatoire de juin. Effet de l’escalade, ces partis rappellent l’histoire de leurs luttes. Ils tentent d’organiser une croisade contre » attaghallob », considérant l’accès de Nidaa Tounes à la présidence comme un processus hégémonique.
Ce rejet d’une possible cohabitation serait en contradiction avec la Constitution et mettrait à l’ordre du jour un état de conflit entre les deux piliers de l’exécutif. Comble de dérive, l’entrée sur la scène électorale des partisans de la violence desservirait sûrement ceux qui s’en serviraient. Elle rappellerait la fable de « l’arroseur arrosé ». Le citoyen tunisien saurait prendre ses distances de cette stratégie kafkaienne.