L’Association « Architectes…Citoyens », comme une large frange de la société civile, est préoccupée par le contenu du discours de ceux qui vont être au pouvoir comme de ceux qui se trouveront à l’opposition.
Nous nous étonnons, en ayant suivi les différentes campagnes électorales, aussi bien législative que présidentielle, du fait, à les entendre, qu’il n’y aurait pas de crise économique et qui plus est ces orateurs n’auraient pas dans leur étui ni la solution ni même la conscience que celle-ci existe.
De Nidaa Tounes à Afek en passant par Ennahdha et Jabha (UPL je préfère ne pas en parler) construisent leur château en Espagne comme si nous disposions d’une réserve de manœuvre confortable.
Pourtant si nous en sommes à ces élections aujourd’hui, c’est que quelque chose s’est passé fin 2010 début 2011 et je ne parle pas de la révolution qui n’est que la forme d’un mouvement, mais du mouvement lui-même, un craquement du système régnant jusqu’à l’époque sous le poids d’une grave crise économique.
Il n’y a que ceux qui croient au hasard qui ne soupçonnent aucun lien entre la crise mondiale et les événements, économiques par excellence, en 2008 du bassin minier. Une région touchée par le chômage et particulièrement le chômage des jeunes diplômés qui se sont constitués en petits comités régionaux et locaux et notamment à Gafsa où un rassemblement de leur comité a été réprimé en septembre 2007. C’est entre autres les membres de ces comités qui vont déclencher les émeutes de Redeyef et Moulares suite aux irrégularités, selon eux, commises en matière d’embauche par des responsables de la Compagnie de phosphate.
Les deux organes qui constituent à eux seuls le pouvoir et le contre-pouvoir, soit le RCD et l’UGTT, furent fissurés mais avec des réactions et des implications différentes dues à leur propre constitution.
L’UGTT qui par sa structure composite, une centrale en état de léthargie et une base qui a quand même montré en certaines occasions des résistances internes et même des formes de dissidence et de dissonance par rapport à ses commandants, émanera d’elle un mouvement qui se rapproche plus d’un processus chimique qu’une procédure physique. Ainsi dans le bassin minier, la spontanéité à mon avis du mouvement de 2008 n’est que relative. Ce mouvement est sûrement la rencontre d’une protestation déclenchée et amplifiée par une convulsion d’une solidarité communautaire et tribale en plus d’une revendication économique et tout ceci sous les yeux d’une centrale syndicale tiraillée entre l’ alignement politique avec le régime en place et les revendications multisectorielles de la base.
Notons que cet éboulement n’est pas dû à un quelconque mouvement de démocratisation interne mais plutôt à un trop-plein de mouvements sociaux qui dissuadera la direction d’user de mesures disciplinaires. En un mot, la périphérie syndicale prend le dessus sur son centre. De ce point de vue, le scénario de la révolte du bassin minier de Gafsa est avant tout une révolution au sein de la centrale syndicale, un renversement du mouvement top-down intéressant pour comprendre le ralliement ultérieur de l’UGTT aux protestations de l’hiver 2010-2011 d’une part, et une démonstration que les phénomènes tels que les réseaux sociaux ne sont dans cette histoire que ce que les enzymes sont à une réaction chimique.
Ainsi, le moteur du mouvement n’est principalement qu’économique
Toute cette longue introduction est pour s’interroger en tant qu’association membre de la société civile sur l’absence préméditée ou l’ignorance pathologique de cette grave dimension dans le discours politique de nos élus aux Législatives et de nos candidats à la présidentielle.
Notre crainte majeure est qu’une fois aux commandes, ces Messieurs – qui ne sont somme toute que des hommes – finissent ce que la Troïka a commencé, par vendre notre patrimoine national comme une simple femme vendrait ses bijoux pour payer les dettes amassées par son mari, en gardant l’espoir qu’un jour ces dettes finiront par disparaître. Or la seule certitude est qu’elle n’aura plus ses bijoux !
Les tentatives ont existé ces trois dernières années : rien que dans le secteur qui nous intéresse au premier chef, le BTP et le foncier. Qui ne se rappelle de l’affaire des 30 000 logements ou des trois hôpitaux proposés en cadeau aux entreprises turques ? Mais cerise sur le gâteau, ce qu’on veut aujourd’hui faire passer comme étant le projet du siècle, nous citons « Tunisia Economic City », n’a reçu jusqu’à présent aucune forme de réponse à nos questions, de la part du gouvernement, sur d’éventuels accords avec un promoteur privé venu des pays du Golfe.
Notre association attire ainsi l’attention des uns et des autres sur le fait que la richesse de notre pays n’est point dans sons sous-sol mais sur sa surface : c’est une terre que nous cultivons ou que nous bâtissons, une terre qui est le support d’une dynamique économique qui si ses rouages tournent nous créons de la richesse autrement, nous subirons les conséquences d’une banqueroute.
Mais en tant qu’architectes, nous savons aussi qu’il existe d’autres leviers peu scrupuleux pour tirer de cette terre qui nous abrite une rente encore plus facile et plus rapide qu’un travail ardu peut apporter. Nous parlons de la spéculation foncière déguisée en aménagement du territoire équitable et bénéfique pour tous. C’ est une gangrène qui ronge tout projet de développement économique.
Sous Ben Ali, à travers des instruments juridiques fondés sur des prérogatives de puissance publique, l’Etat a orchestré les plus grands détournements de notre patrimoine territorial. Les affaires Bukhatir et Sama Dubaï, pour ne citer que les plus connues, sont là pour en témoigner. Mais nous savons que d’autres de moindre ampleur ou passées sous silence ont aussi existé.
Pour finir, notre histoire nous rappelle que la naïveté de certains gouvernants, associée à l’avidité de leurs entourages a asservi le pays à un protectorat de l’Etat français en 1881. Cela a commencé par l’instigation de grands projets qui dépassaient la capacité du pays, encouragée à l’époque par des pays supposés amis. Croulant sous nos dettes, nous avons dû subir l’arbitrage international de la Commission dont une de nos rues portent encore le nom.
Qui aujourd’hui de nos politiciens aura le courage d’une phrase ( prononcée par Churchill ndlr) : « Je n’ai rien d’autre à offrir que .. de la peine, des larmes et de la sueur (sic) » car si en matière de liberté nous étions sous une dictature, en économie nos politiciens font semblant d’ignorer que nous étions sous un règne mafieux ! D’où nos craintes car celui qui feint de méconnaître n’est qu’un incompétent si ce n’est un complice.