Les récentes élections législatives ont redistribué les cartes sur l’échiquier politique tunisien. Le nouvel équilibre des forces trouve à s’exprimer au sein de l’institution parlementaire de la Seconde République : l’Assemblée du peuple. Le choix d’instituer un régime d’essence parlementaire avec un Parlement monocaméral place d’emblée cette nouvelle institution démocratique au cœur du jeu politique tunisien. Le destin du pays se jouera en partie en son sein. C’est pourquoi elle mérite une attention/analyse particulière.
Son nom est fortement chargé sur le plan symbolique : « Assemblée des représentants du Peuple ». Le choix d’une telle appellation est le fruit d’un « compromis consensuel » entre les tenants de « l’Assemblée du Peuple » et ceux de « l’Assemblée des représentants ». Pour autant, au terme de sa première élection législative, ce parlement est-il si représentatif du peuple tunisien ? La question se pose tant sur le plan politique que sociologique.
Sur le premier point, le fort taux d’abstention qui a marqué ces élections affecte mécaniquement le niveau de légitimité des heureux élus. Sur le second point, une forme de distribution sociale inégalitaire des sièges- en fonction des origines sociales, de l’âge, du sexe, etc.- se vérifie à nouveau. La communauté des élus nationaux se caractérise par une sous-représentation féminine, une inégale représentation des classes d’âges, un déséquilibre dans la représentation des catégories socioprofessionnelles. Cette fracture entre la représentation nationale et le corps social est ancrée dans l’histoire du système représentatif, elle n’est pas propre au cas tunisien. Une élite sociale exerce une véritable emprise sur les mandats électifs dans les démocraties modernes. Le sentiment d’incompétence qu’éprouvent les membres des classes populaires vient renforcer et justifier le contrôle du recrutement politique par le haut. Du coup, cette sorte « d’eugénisme de fait » semble donner à la démocratie moderne et libérale les traits de la Cité idéale platonicienne, pourtant décriée par les libéraux pour son potentiel totalitaire. Plutôt que par une législation eugénique positive, cette démocratie serait marquée par des processus structurels de concentration sociale des leviers des pouvoirs, processus que supporte un système éducatif extrêmement sélectif, donnant à quelques-uns, qui partagent la même origine géographique et sociale, les mêmes parcours, études et intérêts, le « besoin » de se consacrer aux affaires de la Cité et au bien public … Cette déformation sociologique de la représentation nationale n’est pas sans conséquence. Elle entraîne une fragilisation de la légitimité des institutions parlementaires. De plus, certaines réalités ou expériences sont ignorées dans l’élaboration des politiques publiques.
Démocratiquement élue, cette Assemblée demeure objectivement légitime. Une légitimité qui justifie d’autant les prérogatives essentielles que la Constitution lui reconnaît en matière législative, budgétaire et de contrôle de l’exécutif. Autrement dit, elle discute et vote la loi, elle adopte le budget de l’État et peut engager la responsabilité ou destituer les organes de l’exécutif. Sur ce dernier point, l’Assemblée peut en effet présenter une motion de destitution du président de la République en cas de violation de la Constitution (art. 88) et voter une motion de défiance contre le gouvernement (art. 99). A l’inverse, le droit de dissolution de l’Assemblée reste limité à deux cas. Tout d’abord, celui où le gouvernement ne parviendrait pas à obtenir la confiance de l’Assemblée quatre mois après la désignation d’un chef du gouvernement (article 89). Ensuite, la dissolution serait possible dans le cas où le Gouvernement n’obtiendrait pas le vote de confiance de l’Assemblée telle que l’a demandé le chef de l’Etat. Le recours à cette prérogative s’avère néanmoins délicat, dans la mesure où le Président de la République serait considéré comme démissionnaire, en cas de renouvellement de la confiance au Gouvernement par deux fois au cours d’un même mandat (article 99).
En outre, le Parlement dispose de la faculté de destituer le Président de la République à la majorité des deux tiers en cas de « très grave manquement à la Constitution », après le visa de la Cour constitutionnelle (article 88). De même, le Gouvernement demeure responsable devant le Parlement qui dispose de la faculté de présenter et de voter une motion de censure à la majorité de ses membres (article 97).
Ces mécanismes de responsabilité entre les pouvoirs, et notamment la limitation du recours au droit de dissolution, tendent à renforcer le Parlement et la majorité parlementaire par rapport à l’exécutif et surtout au Président de la République, ce qui conforte la qualification du nouveau régime tunisien de régime parlementaire.
Enfin, la représentation du corps politique doit inclure le respect des minorités politiques. Sur ce plan, des garanties constitutionnelles en faveur du respect du pluralisme politique sont apportées à travers la réaffirmation des droits de l’opposition au sein de l’Assemblée des représentants du peuple (art. 60). Un ensemble de droits est ainsi reconnu à l’opposition parlementaire : les commissions parlementaires sont composées à la proportionnelle (article 59), la présidence de la commission des Finances et du rapporteur de la commission des Affaires étrangères revient à l’opposition et cette dernière dispose du droit de constituer une commission d’enquête par an et de la présider (article 60).