Le célèbre philosophe français Régis Debray a tenu, mi-novembre, une conférence à Tunis. C’est l’Institut Français, en coopération avec le Collège international de Tunis, qui ont organisé la rencontre intitulée « Occident, fiche clinique ». R. Debray est connu pour avoir été le camarade du célèbre Ernesto Che Guevara et le conseiller de l’ex-président français, François Mitterrand.
Au Collège International de Tunis, la foule était impressionnante, un bon nombre des spectateurs a dû suivre la conférence en dehors de la salle principale, tandis que plusieurs personnalités politiques, médiatiques et artistiques étaient aussi présentes.
« L’Amérique se cherche, l’Europe s’égare, la Chine se retrouve. Et voilà que reprennent, côté couchant, les violons de l’automne. » C’est ainsi que Régis Debray a ouvert son intervention, tout en insistant sur le fait que le monde occidental est un projet et une organisation à la fois. Le monde occidental est la région chrétienne, à l’exception du monde orthodoxe, le monde occidental est une organisation politique et militaire à la fois. Pour l’universitaire français, l’OTAN est une organisation d’attaque et d’expansion.
L’Amérique qui se cherche et l’Europe qui s’égare, et ce, à cause, entre autres, de ce que vit le monde occidental, du recul de son industrie, de l’augmentation de ses dettes, de ses pertes matérielles, sa pollution environnementale… Des données qu’on n’apprend jamais dans les hauts instituts de commerce et des finances, mais des données qui font toute la différence entre ce monde occidental qui se cherche et s’égare et cette Chine qui se retrouve.
Pour Debray, le monde occidental a un seul chef : les Etats-Unis d’Amérique, contre qui personne n’ose s’opposer. C’est avec l’exemple de l’Irak que le philosophe appuie ses dires, la guerre de l’Irak, provoquée par les Etats-Unis sous prétexte d’instaurer la démocratie dans ce pays. C’est avec cette guerre que les Etats-Unis se sont permis d’entrer dans des causes qui ne les concernent pas en réalité. C’est aussi avec cette guerre que le monde occidental a commencé à se considérer comme un seul bloc, à multiples nationalités certes, capable de mener des attaques organisées, claires et rapides.
« Garantir la sécurité des Etats Unis-d’Amérique », tel est le mot d’ordre pour toute personne qui se présente à la magistrature suprême américaine, la garantie de la sécurité des USA et la direction de l’OTAN, pour garder l’influence mondiale de la première puissance mondiale.
Régis Debray donne un autre argument, d’ordre financier cette fois, le dollar américain, devenu depuis 1945 la monnaie d’échange mondiale, une énième force pour les Etats Unis, qui font tout pour éluder la question d’une probable facturation du baril de pétrole en Euro ou autres, et qui garantissent à leurs fournisseurs de cette matière une sécurité les protégeant de leur voisin iranien…
« Personne d’autre que le bloc occidental n’émet des avis sur tout ce qui se passe sur la planète, n’établit et n’impose la liste des bad guys (changeante au gré des conjonctures), ni ne décide de sanctions envers tel ou tel État déclaré voyou. » C’est comme cela que s’est exprimé R. Debray pour expliquer que le monde occidental présente ses intérêts comme des intérêts qui concernent toute l’humanité, sauf que ce monde occidental est atteint de la « folie des grandeurs », un monde qui vit sous le poids de l’arrogance et qui ne sait s’ouvrir au reste du monde, un Occident qui ne réalise ses erreurs que de longues années après, un monde où les Etats-Unis ne parlent que du « monde occidental et les autres pays du monde. »
Les guerres ne sont plus appelées guerres, mais « opération du maintien de la paix », des opérations qui se passent dans « les autres pays du monde » et qui ont, pour réelle mission, d’assurer les intérêts ‘humanitaires’ du grand monde occidental.
Pour Régis Debray, l’un des plus grands handicaps du monde occidental, c’est son complexe de supériorité. « Prisonnier à la fois de son universel abstrait et de ses équipements télé, ébloui par ses propres feux d’artifice, le missionné messianique, comme on le voit en Irak ou en Afghanistan, met plusieurs années pour se découvrir, dans les yeux des autochtones, envahisseur et occupant. »
Le deuxième handicap de ce même monde, selon le philosophe, c’est le déni du sacrifice. Il rappelle d’ailleurs qu’en « août 1914, 26 000 soldats français furent tués au front. Le président Poincaré n’est pas sorti de son bureau. Le 18 juillet 2011, sept soldats français furent tués dans une embuscade en Afghanistan. Hommage de la Nation, éloge funèbre par le président, qui se rendra peu après sur place, commotion médiatique. Une demande d’indemnisation sera formulée par une famille des victimes ». Devant un Orient qui a gardé le sens du sacré, l’Occident, l’Europe en particulier, l’ont renié : « Nous avons eu le Moyen Âge et par la suite la Renaissance, le monde musulman a eu la Renaissance et par la suite le Moyen Âge. »
Pour finir, R. Debray, et à la question de si « la balance entre les cinq « grandeurs » et les cinq « servitudes » non des avoirs mais de l’être occidental, à la fois plus fort et plus faible qu’il ne le pense, peut-elle se dire à l’équilibre ? Le philosophe répond : « En dynamique, il est probable que non. »…