En l’absence d’une protection légale adéquate, les actionnaires minoritaires risquent d’être expropriés. Dans ce cadre, une entreprise peut procéder à des transactions avec ses principaux actionnaires, ou ses managers et administrateurs, appelées transactions avec les parties liées, qui sont bénéfiques à ces parties au détriment des actionnaires minoritaires de l’entreprise. Il est ainsi commun de trouver des managers s’accorder une rémunération excessive, des actionnaires majoritaires racheter les actions de la firme à des prix faibles, vendre des blocs de contrôle sans traitement égal des actionnaires minoritaires, bénéficier d’un traitement préférentiel comme par exemple avoir l’exclusivité en matière de distribution de dividendes ou aussi exploiter des relations d’affaires avec les firmes qu’ils contrôlent et des administrateurs utiliser des actifs de la firme comme garanties pour leurs emprunts personnels ou empruntant des fonds à des termes favorables.
Dans les groupes, structures très répandues dans le contexte tunisien, des transactions comme la vente et/ou l’achat de biens ou de services (réels ou fictifs !) à un prix ne correspondant guère à celui du marché constituent un moyen de transfert de richesse d’une entité donnée – très souvent du bas de la pyramide vers une autre au sommet de la pyramid – en vue d’ enrichir ceux qui détiennent le véritable contrôle, soit un droit de contrôle supérieur à leur droit de propriété et qui gagnent plus qu’ils ne perdent en procédant à ce type de transactions. Ces dernières peuvent être directes ou indirectes. La protection des actionnaires minoritaires, notamment en ce qui concerne la limitation de ces transactions, revêt ainsi un véritable enjeu en vue d’assurer un développement des marchés de capitaux.
En matière de protection des actionnaires minoritaires, le rapport « Doing business 2015», publié mercredi 29 octobre par la Banque mondiale à Washington, place la Tunisie au 60e rang sur 189 pays, en matière de facilité de faire des affaires. En matière de protection des investisseurs, la Tunisie ne fait pas partie des pays les plus engagés. En 2014, l’indice de protection des investisseurs en Tunisie selon cette étude est égal à 6/10 obtenu par la moyenne arithmétique des indices mesurant la divulgation de l’information (5/10), la responsabilité des dirigeants (7/10) et de la facilité des poursuites des dirigeants et des administrateurs par les actionnaires (5/10). Ces scores restent en dessous de la moyenne obtenue pour l’ensemble des pays de l’OCDE.
Les transactions entre la firme et ses parties liées dans la divulgation de l’information font l’objet de la loi tunisienne du 16 mars 2009 qui distingue entre conventions réglementées, conventions libres et conventions interdites.
Un examen plus minutieux de cette loi et de la procédure des conventions réglementées nous permet de cibler les faiblesses du système de gouvernance tunisien et l’effort à faire pour un meilleur contrôle de ces conventions et, partant, une meilleure protection des actionnaires minoritaires. Une action semble envisageable sur plusieurs niveaux :
– Le premier niveau concerne l’organe de l’entreprise chargé, vis-à-vis de la loi, de donner une autorisation valable pour que la transaction puisse avoir lieu. Certes en Tunisie, ce n’est pas uniquement le PDG qui donne une autorisation au préalable pour que la transaction puisse avoir lieu, c’est le conseil d’administration ou l’autorité de contrôle qui doit voter, l’administrateur concerné par la transaction n’y étant pas autorisé.
– Le deuxième niveau concerne la divulgation de l’information relative à la transaction avec les parties liées. Sur ce point, des améliorations peuvent être réalisées. En Tunisie, la divulgation immédiate de la transaction au public, aux autorités de contrôle ou aux actionnaires n’est pas obligatoire. Comparativement à d’autres pays de l’OCDE, cela constitue une limite. Idéalement, non seulement la divulgation d’information concernant la transaction devrait être obligatoire, mais aussi la divulgation des conditions de la transaction et de surcroît celles relatives aux conflits d’intérêts qui peuvent opposer ceux de l’entreprise à ceux de la partie liée en précisant l’ensemble des éléments matériels liés à l’intérêt que l’administrateur a dans la transaction.
– Le troisième niveau concerne le rôle du commissaire aux comptes dans la divulgation des transactions avec les parties liées, limité jusqu’ici à la rédaction d’un rapport destiné à l’approbation de l’Assemblée générale des actionnaires relatant simplement les faits, sans qu’il soit tenu de faire des investigations supplémentaires. Ce rôle pourrait être renforcé en chargeant le commissaire d’examiner la transaction avant qu’elle n’ait lieu et émettre une certaine opinion sur elle.
Ces améliorations pourraient être utiles avant l’approbation des résolutions au niveau des Assemblées générales qui ne constituent, actuellement, qu’une simple formalité puisque les actionnaires ne peuvent que constater les conséquences des conventions réglementées.
Avant de clôturer ce dossier, on pourrait se demander si compte tenu des risques y afférents, interdire les transactions avec les parties liées constituerait une amélioration de la protection des actionnaires minoritaires ? Une réponse affirmative serait abusive vu l’intérêt que peuvent créer ces transactions, véritables sources de marchés de capitaux internes et risquerait de priver l’entreprise d’opportunités de croissance et d’acquérir des services de qualité et à prix inférieur à celui du secteur. Entre-temps, protéger des actions minoritaires des transactions avec les parties liées fera encore couler beaucoup d’encre.