Spécificité des élections tunisiennes, elles ont fait valoir les visions du monde plutôt que les intérêts sociaux. L’élection offre un « champ de possibilités stratégique ». Or, les élections tunisiennes ont été, dans une large mesure, déterminées par l’ordre culturel et l’épistème qui le constitue, c’est-à-dire des systèmes de références communes, de chaque clan. Est-ce à dire que les Tunisiens vivent une conjoncture idéologique sinon métaphysique ? Certes, la relation entre les positions et les prises de position n’a rien d’une détermination mécanique. Les acteurs ont des marges de manœuvre entre les processus d’automatisation ou de désautomatisation. Sinon, comment expliquer l’intégration de « la gauche recyclée », hors de son ordre culturel habituel? Une sorte de « court-circuit » réducteur a, semble-t-il, brouillé les cartes, transgressant les idéologies par une quête d’alliance contre nature conjoncturelle.
Au-delà du champ de la polémique, les positionnements et les repositionnements des acteurs, au second tour présidentiel, devaient déterminer deux mouvances en faveur des deux finalistes : Béji Caïd Essebsi devait être soutenu par les alliés de l’ordre culturel de sa famille idéologique : le Front populaire, Afak, les Destouriens tous azimuts et tous les partisans de la modernité, de l’égalité du genre et de l’ouverture. Dans l’état actuel des choses, cette mouvance semble capable d’imposer son candidat. Moncef Marzouki devait être soutenu par l’ordre culturel, qu’il a rejoint, fut-ce dans une alliance contre nature : Ennahdha et les groupuscules salafistes. Ettakattol, son allié-rival, au sein de la Troïka, Al Joumhouri et l’Alliance démocratique privilégieraient-il leurs états d’âme à leurs visions du monde, pour s’opposer à « l’adversaire consensuel » ?
Priorité absolue, au-delà de cette démarcation, il faut assurer le sauvetage du pays. Il faut déclencher « l’étincelle politique » qui engagerait sa reconstruction et la relance de son économie. Elle nécessite l’établissement d’un environnement de sécurité et de stabilité, susceptible de redonner confiance. D’autre part, l’électeur tunisien fait valoir ses attentes : emploi, pouvoir d’achat et développement global. Fait important, « le panier de la ménagère » serait l’élément essentiel d’appréciation des candidats. Peut-on occulter les exigences de la démocratisation du quotidien, qui fait l’objet d’un consensus ?
Exigence dans le court terme, il faudrait que les programmes des deux candidats mettent à l’ordre du jour la promotion de la jeunesse, assurer sa participation et se concerter avec elle, pour inventer la Tunisie de demain. On enregistre, en effet, une faible participation de la jeunesse aux scrutins parlementaire et présidentiel. Il faudrait éviter qu’une génération soit mise de côté, alors que l’avenir lui appartient.
Le premier tour de la campagne présidentielle a été entaché par des dérives, des surenchères et des appels à la violence. Le brouillage de l’émission Nessma, pour empêcher la diffusion du discours électoral d’un candidat, s’inscrit dans cette conjoncture. Ne faudrait-il pas demander à l’institution électorale d’imposer la normalisation de la campagne du deuxième tour, au profit de tous ?