Les résultats du premier tour de la présidentielle ont assuré l’accès au second tour, de Béji Caïd Essebsi, président de Nidaa Tounes et Moncef Marzouki, leader du CPR et président provisoire de la République. 6 % des voix les départage. Ce qui atteste l’entrée en jeu d’une troisième mouvance, qui a permis au CPR de transgresser son scrutin insignifiant, lors des Législatives. Les sondages avaient d’ailleurs révélé que 71 % de ses électeurs provenaient du mouvement d’Ennahdha. Son adversaire affirme que les observateurs du parti islamiste, lors des élections parlementaires ont été les observateurs du candidat du CPR à la présidence.
Alliance ou simple connivence, les faits confirment que le parti Ennahdha a joué Marzouki contre Béji Caïd Essebsi, contre son deuxième allié au sein de la troïka, Mustapha Ben Jafar et même contre les candidats de sa proximité idéologique, tels que Frikha, sa tête de liste à Sfax. Comment expliquer ce recours au processus de « dissimulation ? Il est d’usage que les acteurs politiques recourent à ce procédé. Mais ces « vérités doubles » finissent par être démasquées. Au cours de son interview, mardi 25 novembre 2014, sur la chaîne France 24, Béji Caïd Essebsi a affirmé que son adversaire a bénéficié de « la mobilisation des nahdhaouis et des salafistes ».
Une concertation ou une coopération de Nidaa Tounes avec Ennahdha est-elle possible, dans ces conditions ? Béji Caïd Essebsi présente ses conditions sine qua non : « Je discuterai avec Ennahdha à condition qu’il prenne une position claire au second tour». Cette exigence d’un « come clean » est érigée en postulat. Ennahdha privilège-t-elle la coopération avec Nidaa Tounes ou l’alliance publique avec son adversaire ? La prochaine réunion de sa direction, la choura, maintiendra-elle cette dualité du discours ? Se libéra-t-elle de ce « tabou de l’explicitation » ? Nous pensons plutôt qu’elle optera pour le statu quo. Objet du vote sanction, lors des élections parlementaires, son establishment et sa base auraient choisi un « vote refuge », assurant une certaine protection, en cas d’éventuels procès contre certains de ses ministres. Cette question n’est point à l’ordre du jour, à Nidaa Tounes. Mais le scénario égyptien continue à susciter des inquiétudes.
Mobilisation, positionnements, répositionnements, la Tunisie vit une conjoncture de manœuvres. L’appel du président provisoire Moncef Marzouki, au leader de Nidaa Tounes l’appelant le 21 novembre à désigner son choix de chef de gouvernement, vu la victoire de son parti aux législatives, s’inscrit dans ces manœuvres. Or, le dialogue national engagé par le quartet a fait valoir, dès le 31 octobre 2014, que cette opération devait être exercée par le nouveau président et non le président provisoire. Lors de sa réunion, lundi 24 novembre 2014, le Quartet s’est prononcé pour le maintien de la décision prise. L’initiative du Président provisoire crée un imbroglio juridique, susceptible de provoquer une crise, à la veille du second tour. L’appel de Marzouki à un duel télévisé est aussi objet de discorde. Nidaa Tounes a fixé ses conditions préalables d’une normalisation des comportements politiques, par des excuses contre les dérives du discours de son adversaire. En l’état actuel des choses « un combat de béliers » (expression d’Essebsi) ne peut que brouiller les cartes.
Est-ce à dire que les dés sont jetés. Béji Caïd Essebsi a d’importantes réserves, vu la proximité du Front populaire et des autres candidats éloignés de la Troïka. M. Marzouki aurait fait le plein de ses partisans, pensent certains observateurs.
Qu’en est-il au juste ?