L’année avait commencé avec l’organisation d’un référendum constitutionnel en Egypte , en vue officiellement de rétablir l’Etat de droit et assurer la normalisation de la vie politique. Au terme d’une campagne totalement biaisée – simulacre de démocratie – le « oui » l’avait emporté avec 98%, un score digne de l’époque de Hosni Moubarak qui a dirigé le pays d’une main de fer pendant 30 ans. Loin de l’espoir né de la place Tahrir en février 2011, 2014 se termine avec une « décision de justice » et un sentiment d’injustice. La vague d’acquittements à laquelle le peuple égyptien vient d’assister consacre la victoire de la contre-révolution militaire.
L’accusation de complicité de meurtres qui pesait contre l’ex-raïs du Caire a été abandonnée. Il a également été blanchi des accusations de corruption, dont il faisait l’objet. Si l’ex-Raïs devait rester en détention dans un hôpital militaire pour finir de purger une peine de prison déjà prononcée dans le cadre d’une autre affaire, une remise de peine serait à l’ordre du jour… Comment la justice égyptienne a pu ignorer à ce point son rôle dans la répression des manifestations populaires de janvier-février 2011, qui ont mis fin à son règne, et au cours desquelles plus de 846 personnes ont été tuées ? En outre, malgré des faits plus que compromettants, les accusations de corruption qui pesaient contre ses deux fils, Alaa et Gamal, ont également été abandonnées. Sept hauts responsables de la sécurité, dont l’ex-ministre de l’Intérieur de Moubarak Habib el-Adli, ont bénéficié de la même clémence. C’est jour de fête pour l’ancien-régime. Un jour triste pour ses victimes. Après l’annonce du verdict, le président Abdel Fattah al-Sissi a assuré que l’ Égypte ne reviendrait pas « en arrière ». Pourtant, tout ou presque indique que l’on assiste à une marche forcée vers une contre-révolution.
Pour mémoire, c’est dans un contexte économique et social délabré, avec un pouvoir présidentiel corrompu et autoritaire, que le peuple égyptien s’était soulevé – dans diverses villes, même si le cœur de la mobilisation était symbolisé par la Place Tahrir au Caire – et avait provoqué la chute de Hosni Moubarak. La fin de ce règne de trente ans ( la loi sur l’état d’urgence appliquée depuis 1981 explique aussi cette longévité). Depuis, de l’élection à la chute des Frères musulmans en passant par le coup d’Etat militaire, l’Egypte va de mal en pis. L’accès au pouvoir de Sissi revêt les traits du tragique de répétition : personnalisation du pouvoir, autoritarisme et arbitraire sont de mise ; la répression est tous azimuts, y compris à travers l’emprisonnement de milliers de personnes (des Frères musulmans comme de jeunes libéraux de la place Tahrir) ; les réseaux de corruption sont toujours en action ; etc. Cela n’empêche pas le président Sissi de déclarer que « la nouvelle Égypte, qui est le résultat des deux révolutions du 25 janvier (2011) et du 30 juin (2013), se dirige vers l’établissement d’un État démocratique et moderne, fondé sur la justice, la liberté, l’égalité et la lutte contre la corruption, ». Un déni de réalité digne des dictatures militaires d’antan. Cette nouvelle Égypte , a assuré le président, « regarde vers l’avenir et ne peut jamais revenir en arrière ».
Pour les historiens, la période 2011-2014 en Egypte risque de se résumer à la fameuse maxime de Giuseppe Tomasi di Lampedusa : « Se vogliamo che tutto rimanga come è, bisogna che tutto cambi! ». Autrement dit, « Si nous voulons que rien ne change, il faut que tout change ». Un spectre contre-révolutionnaire qui n’est pas à écarter en Tunisie…