Maintenant que la Tunisie entame la dernière ligne droite de sa transition démocratique et que le second tour de l’élection présidentielle se rapproche à grands pas, il est impérieux que chacun d’entre nous, quelle que soit son affiliation partisane, assume ses responsabilités dans le choix définitif de la direction que la Tunisie doit prendre dans les cinq années à venir et au-delà. Car il s’agit bien de cela : notre pays est-il appelé à sortir de l’état latent de crise politique, économique, sociale et sécuritaire dans lequel il vit, tout en restant fidèle à son approche moderniste et aux objectifs de sa révolution et en reprenant la place qui lui revient dans le monde ? Ou est-il condamné à s’enfoncer davantage dans la crise, avec les risques de déstabilisation que cela peut engendrer, de retour en arrière tant redouté par une grande partie de la population tunisienne et de perte totale de crédibilité sur le plan extérieur ?
Les élections législatives ont certes permis d’apporter une partie de la réponse à cette question, en offrant la possibilité de former un gouvernement de sensibilités économiques et sociales peut-être différentes, mais ayant une orientation clairement tournée vers l’avenir et attachée à la démocratie.
Le résultat du premier tour de l’élection présidentielle, bien que ne répondant pas totalement aux préférences initiales de certains d’entre nous– y compris le rédacteur de ces lignes– présente deux approches distinctes, facilement reconnaissables, notamment quand il s’agit de politique étrangère et de sécurité de notre pays, domaines de responsabilité première du prochain président de la République tunisienne:
– Une première approche donnant la priorité à l’affirmation de l’indépendance du pays, l’attachement à des fondements traditionnels et des principes faits de modération et d’ouverture sur l’extérieur, tout en restant fidèle à nos appartenances géographiques et culturelles.
– La deuxième approche– péniblement vécue tout au long des trois dernières années, notamment par les professionnels de la diplomatie, et ce malgré les efforts du « Gouvernement des compétences » actuel pour en réduire les effets– est celle qui aliène l’indépendance de la Tunisie, renie les fondements de notre diplomatie en versant dans l’extrémisme, les prises de position basées sur des considérations personnelles, voire sectaires et, en définitive, met en danger nos relations et nos intérêts avec le monde extérieur et notre place parmi les nations, chèrement acquise par les sacrifices de plusieurs générations de diplomates tunisiens.
Faisant partie de l’une des premières générations de ces diplomates, ayant entamé depuis 1968 une longue carrière de près de quarante ans, parcouru toutes les étapes de cette carrière et assumé de nombreuses responsabilités à l’extérieur et à l’intérieur du Ministère des Affaires étrangères, j’estime que la première approche est la seule qui convienne à la Tunisie et est de nature à lui assurer l’invulnérabilité, les amitiés et la coopération dont elle aura besoin, pour relever les difficiles défis qui s’annoncent. Parmi les deux candidats qui participeront au deuxième tour de l’élection présidentielle, j’estime, en mon âme et conscience, que M. Béji Caïd Essebsi représente le mieux cette approche.
Le candidat d’une frange importante des forces démocratiques en Tunisie est un homme connu auprès des « carriéristes » de la diplomatie tunisienne pour avoir été pendant plus de cinq ans Ministre des Affaires étrangères dans les Gouvernements du Zaïm (Père de la Nation) Bourguiba. A ce titre, il a contribué à initier et mettre en œuvre la stratégie qui a permis, par sa clarté, sa modération et son caractère multidimensionnel de faire de la Tunisie un exemple pour les autres pays nouvellement indépendants, un espoir pour les nations opprimées- de la Palestine aux pays africains luttant pour leur liberté et contre la discrimination raciale- et un point d’attrait pour l’aide internationale et les investissements étrangers. La gestion par M. Béji Caïd Essebsi de la crise de Hammam Chott, suite à l’agression israélienne contre les anciens quartiers de l’OLP, a démontré sa capacité à défendre l’indépendance de la Tunisie contre toute atteinte extérieure, en usant habilement des moyens de la diplomatie bilatérale et multilatérale. Plus récemment, et en sa qualité de Premier Ministre dans le Gouvernement de transition de 2011, il a largement réussi à écarter les risques de contagion pouvant provenir de la Libye post-Kadhafi. En même temps, il a réussi à faire ressortir l’élan de sympathie exceptionnel engendré dans le monde par la révolution tunisienne, élan qui s’est traduit notamment par des engagements importants en termes d’aide et d’investissements étrangers. Ce bref rappel historique indique qu’une présidence Essebsi à Carthage suivra à mon avis les axes de politique étrangère que je considère essentiels pour la Tunisie de demain, à savoir :
- La garantie de la souveraineté du pays, de sa sécurité et de son intégrité territoriale ainsi que la promotion de ses intérêts;
- Le respect des fondements et principes traditionnels de la politique étrangère tunisienne, en particulier la modération, le refus de l’ingérence dans les affaires intérieures des autres pays, l’attachement à la légalité internationale et la défense des causes justes dans le monde, notamment la cause du peuple palestinien. Ceci n’exclut pas la nécessité d’intégrer– et je suis persuadé que M. Béji Caïd Essebsi ne manquera pas de le faire- les principes mis en avant par la révolution tunisienne, en particulier la défense des valeurs universelles des Droits de l’Homme et de la démocratie;
- La protection des relations amicales de la Tunisie dans le monde, en leur évitant toute secousse et « sautes d’humeur ». Il est évident, me semble-t-il, que les pays du voisinage immédiat, en particulier les pays du Maghreb, ainsi que les autres pays arabes, tout comme les pays africains, recevront, sans exclusion, une attention particulière, compte tenu de leur importance politique, économique et sécuritaire pour la Tunisie. Toutefois, je présume qu’il ne sera nullement question de réduite nos relations avec les partenaires traditionnels de la Tunisie, en particulier en Europe, en Amérique et en Asie, ainsi qu’avec les nouvelles puissances économiques qui doivent devenir des partenaires importants pour notre pays.
Le fait qu’une telle politique étrangère s’ajouterait à une politique sécuritaire, sociale et économique bien réfléchie, permettrait d’en faire un instrument efficace pour le développement du pays. Par ailleurs, le fait qu’une présidence Essebsi s’accompagnerait d’un Gouvernement de la même orientation démocratique– bien que, de préférence, issu du plus grand nombre possible de formations politiques– permettrait à une telle politique étrangère d’être unifiée, évitant les contradictions, voire les conflits de compétences, ô combien préjudiciables, observés au cours des dernières années entre les différentes structures de l’Etat. Le respect que M. Béji Caïd Essebsi a– je le sais– pour le Ministère des Affaires étrangères, permettrait de reconnaître de nouveau à ce Département de souveraineté son rôle d’organisme de conception et d’application de la politique étrangère tunisienne et rendrait à ses cadres et ses fonctionnaires la considération à laquelle ils ont droit.
Ainsi, une politique étrangère crédible menée sous l’impulsion de M. Béji Caïd Essebsi, ayant l’expérience, l’ouverture, le sens de la mesure et la vision globale pour la Tunisie et mise en œuvre par une structure diplomatique efficace et réhabilitée saura, à mon sens, nous aider à relever avec succès les défis des cinq prochaines années dans un Etat juste et respecté tant à l’intérieur qu’à l’extérieur.