Depuis les premières élections tunisiennes post-révolutionnaires d’octobre 2011, le mouvement Ennahdha s’est mué de parti religieux en parti politique au pouvoir.
C’est en décembre 2011 que le mouvement Ennahdha a marqué son entrée au pouvoir avec un gouvernement dirigé par Hamadi Jebali qui fut l’un de ses fondateurs, baptisé à l’époque, en 1981, Mouvement de la Tendance islamique, pour prendre en 1989 l’appellation que l’on connaît aujourd’hui. Le début du parcours politique de Hamadi Jebali a été marqué par de violents actes de terrorisme avec, notamment, les événements de Bab Souika, survenus en 1991 et ceux des villes de Sousse et de Monastir, en 1986. En accédant au poste de chef du gouvernement, il en fait l’aveu.
Mais le règne de H. Jebali ne fut pas long, à peine trois mois, car le jour de l’assassinat du militant de la Gauche, Chokri Belaïd, il a annoncé le remaniement de son propre gouvernement par un autre, composé d’une équipe de technocrates sous ses propres commandes. Une demande qui a été rejetée par Ennahdha, un rejet qui avait poussé Jebali à la démission. Ali Laarayedh avait succédé à M. Jebali à la présidence du gouvernement en mars 2013.
Une année plus tard, Hamadi Jebali démissionne de son poste de secrétaire général d’Ennahdha, une démission rejetée en un premier temps par Rached Ghannouchi puis validée en juillet de la même année. Ali Laarayedh, de nouveau, lui succède. Pour Hamadi Jebali, la goutte qui a fait déborder le vase, c’est bien la position d’Ennahdha au second tour de la Présidentielle ; quand H. Jebali a choisi de sortir de son silence pour annoncer sa démission du mouvement, en publiant un communiqué sur un ton sévère et accusateur. En effet, le fils chéri d’Ennahdha l’accuse d’infidélité à la révolution et à ses acquis. Une prise de conscience ? On en doute. Le timing de cette démission n’est pas très innocent, elle coïncide avec lemoment où le mouvement essaie de prouver sa « tunisianité ».
Comme on ne peut pas nier les efforts que fournit le mouvement en ce moment, efforts se traduisant par des manœuvres politiques qui vont dans le sens de la « cohabitation« , cette démission vient secouer les bases d’Ennahdha qui acceptent déjà mal la décision du Conseil de la Choura quant au second tour de la Présidentielle.
Au communiqué de H. Jebali, se sont ajoutés deux autres de la part de deux dirigeants phares du mouvement : Sadok Chourou et Habib Ellouz. Ces deux leaders d’Ennahdha, connus pour être extrêmement radicaux, ont, en quelque sorte, appuyé la prise de position du chef du gouvernement de la Troïka. Ils s’attaquent directement à Rached Ghannouchi et l’accusent même d’avoir détourné la décision du Conseil de la Choura.
Flashback : on a évoqué la fissure de la maison Ennahdha quand Abdelfattah Mourou s’était présenté sur une liste indépendante aux élections législatives de 2011. On en a parlé quand le mouvement a connu la démission de son dirigeant Riadh Chaïbi, qui a préféré exercer sa politique en fondant son propre parti en novembre 2013, ce qui avait provoqué une avalanche de démentis de la part de presque tous les dirigeants du mouvement.
Aujourd’hui, Ennahdha, deuxième aux élections législatives de 2014, se retrouve face à un choix délicat au second tour de la Présidentielle : soit il soutient Moncef Marzouki, son candidat et allié à la Troïka pour se retrouver automatiquement au sein de l’opposition, tout en préservant la sympathie de ses militants et ses dirigeants, soit il choisit d’appuyer la candidature de Béji Caïd Essebsi en sacrifiant une majorité écrasante de sa base.
Le choix est relativement évident selon cette optique, mais au fond, rien n’est plus compliqué que de soutenir l’un des deux candidats, puisque l’enjeu pour Ennahdha ne réside pas uniquement dans son positionnement en tant que parti opposant, mais dans le fait qu’il soit impliqué dans de grandes affaires survenues lors de ses années passées au pouvoir ( incidents du mois d’avril 2012, incident de Siliana en 2013 et les assassinats politiques).
Même si le mouvement a gardé la même position qu’il a émise lors du premier tour de la Présidentielle, il a omis de donner la consigne qu’il avait donnée à l’époque : barrer la route au retour des symboles de l’ancien régime. Ici, Béji Caïd Essebsi est pointé du doigt. C’est justement cette omission qui a provoqué un profond mécontentement parmi les dirigeants et militants d’Ennahdha. H. Jebali, S. Chourou et H. Ellouze veulent que leur mouvement affiche un soutien clair à Moncef Marzouki, le garant de leur révolution, le protecteur des Frères musulmans.
Toujours est-il que de nouvelles révoltes et fissures menacent aujourd’hui un mouvement qui était un exemple de discipline et de cohésion partisane. Des protestations qui viennent confirmer l’existence de conflits internes qui commencent à apparaître au grand jour. Hamadi Jebali a affirmé dans son communiqué sa volonté de continuer « à militer et à défendre les libertés et les acquis de la révolution ». Cela pourrait donner à penser qu’il projette de fonder son propre parti.
Les communiqués de Sadok Chourou et d’Habib Ellouze, qui avaient annoncé quelques semaines avant les élections législatives leur retrait de la vie politique pour se consacrer aux activités de la société civile, traduisent indirectement un appui à l’ex-chef du gouvernement. Quant à l’autre camp radical d’Ennahdha, mené par Ali Laarayedh, il pourrait suivre et embrasser, lui aussi, la voie de la création d’un nouveau parti.
Enfin, Riadh Chaïbi a certes créé son propre parti, mais il n’a pas réussi à s’imposer sur la scène politique. Cela ne serait pas le cas de Hamadi Jebali qui a son poids auprès de la base nahdhaouie.
Les résultats finaux de l’élection présidentielle et l’instauration de la nouvelle équipe gouvernementale risquent fort de sonner le glas de l’empire d’Ennahdha et mettre fin à son parcours post-révolutionnaire.