Dimanche prochain, cinq millions de Tunisiens auront à arbitrer le face-à-face entre les deux candidats restés en lice au second tour de l’élection présidentielle : Moncef Marzouki, candidat à sa propre succession, et Béji Caïd Essebsi, candidat pour lui succéder. La tension est montée d’un cran dans la rue, comme dans les débats animés dans les secteurs de la presse écrite, de l’audiovisuel ou même dans les réseaux sociaux. Le climat politique est assez délétère. Dès le soir du premier tour, les accusations et procès politiques en tout genre ont rythmé la confrontation des deux hommes : « candidat des islamistes » contre « candidat de l’ancien régime et des médias »… Pour les animaux politiques, l’art de la mesure et de la sagesse n’a plus lieu d’être lorsqu’il s’agit d’accéder au pouvoir. L’heure est aux rumeurs plutôt qu’à l’information, aux arguments d’autorité plutôt qu’au débat contradictoire, aux discours de division et à la polarisation idéologique plutôt qu’à l’appel au rassemblement et à l’unité nationale …
Si les deux adversaires se rendent coup pour coup, l’animosité n’est pas que d’ordre politique : elle est aussi de nature personnelle. Le respect mutuel n’est pas de mise. Derrière les débats autour de la question de la relation ou de la rupture avec les islamistes, la séquence se résume à la confrontation de deux personnalités, deux tempéraments, qui est de nature à conforter la personnalisation du pouvoir. On est loin du discours programmatique et analytique que sont en droit d’avoir les citoyens tunisiens, spectateurs d’un « combat de coqs » qui les plonge un peu plus dans un sentiment de désenchantement démocratique.
L’attitude d’Ennahda ne contribue pas à apaiser la situation. Son jeu trouble attise les tensions. Officiellement, les islamistes ne prennent parti pour aucun candidat à la présidentielle. Pas de consigne de vote, en somme. Une position de « neutralité » officialisée par le Conseil de la Choura qui en a appelé au libre arbitre des militants et sympathisants du parti : ils sont libres « de choisir celui qu’ils jugent le plus apte à diriger la Tunisie ». Formule plus ambiguë qu’elle n’en a l’air, lourde de sous-entendus compte-tenu de l’identitfication de BCE comme le leader d’un parti « anti-islamiste ». De plus, force est de constater l’implication de fait de certains cadres d’Ennahda dans la mobilisation de leurs militants en faveur de Moncef Marzouki, figure de proue de la troïka à consonance islamiste, qui a dirigé le pays. Pourquoi ne pas assumer un soutien plus explicite et exercer sa pleine responsabilité politique dans la compétition présidentielle qui se joue ? Quoi qu’il en soit, Ennahda n’est pas en mesure de jouer le rôle d’arbitre dont il rêvait, et c’est d’ailleurs en partie à cause de cette position non décisive/décisionnelle que les islamistes ont préféré cette posture du « spectateur-acteur », les plaçant virtuellement au-dessus de la mêlée, à travers notamment un appel à « œuvrer à l’identification des moyens privilégiant le consensus et le partenariat pour lesquels avait opté le mouvement avec ses partenaires durant l’étape précédente » (communiqué du Conseil de la Choura daté de samedi). Derrière ce discours se voulant empreint de sagesse, la tension et l’implosion guette le parti islamiste. Les signes ne manquent pas, comme la démission de l’ancien secrétaire général d’Ennahdha Hamadi Jebali (l’ancien premier ministre est favorable au soutien direct et explicite de la candidature de Moncef Marzouki).
L’enjeu de cet entre-deux tours réside aussi dans la structuration du système de partis- avec pour arrière-plan le jeu des alliances– du nouvel échiquier politique. Parallèlement à la campagne présidentielle, les tractations continuent en vue de la constitution d’une majorité gouvernementale. En cela, l’élection présidentielle s’inscrit dans la lignée de l’élection législative.
L’hypothèse d’un gouvernement d’union nationale– fondée sur une alliance contre nature entre Nidaa Tounes et Ennahda- s’éloigne. Tant mieux pour la lisibilité et la clarté de la scène politique. Toutefois, les difficultés et défis économiques et sociaux auxquels sera confronté le futur gouvernement militaient pour une grande alliance des forces politiques nationales. Pas sûr que les protagonistes en soient encore pleinement conscients. Si la communauté internationale suit avec attention l’état de la transition en Tunisie, l’aide escomptée demeure en-deçà des besoins. Il faut néanmoins saluer l’information suivant laquelle le Fonds monétaire international (FMI) a accordé à la Tunisie une nouvelle tranche de prêt de 105 millions de dollars, dans le cadre du plan d’aide destiné à soutenir la transition politique du pays. Selon le communiqué du FMI : « La Tunisie a accompli une transition politique réussie tout en traversant un environnement difficile au niveau intérieur comme extérieur ». Certes, mais ladite transition politique n’est pas achevée. Pis, elle n’a pas commencée sur le front financier, économique et social : le pays demeure en quête d’un nouveau modèle de développement.