La défaite du candidat Moncef Marzouki face à Béji Caid Essebssi était dans l’air depuis bien longtemps et s’imposait comme la destinée incontournable du paysage politique tunisien. Cette défaite s’est synthétisée depuis, exactement, le jour où BCE a décidé d’y aller seul, au grand dam de ses compères du Front du salut, les Nejib Chebbi notamment et ceux gouvernant la funeste Troïka, les Ben Jaafar et Marzouki, lui-même, sans compter bien sûr les ténors nahdhaouis.
Les quolibets sur BCE avaient alors fusé, les troupes d’Ennahdha et du CPR avaient pris d’assaut la Toile pour dénoncer tantôt un vieillard, tantôt un dictateur mêlé à la disparition de « Youssefistes », au trafic des urnes, à la bourgeoisie tunisoise, à Kamel Ltaief et même à la pluie qui ne tombait pas ou qui tombait trop. Ennahdha n’était pas en reste, elle qui faisait saliver chaque jour un peu plus Mustapha Ben Jaafar et Mohamed Moncef Marzouki sur l’idée d’un bail à Carthage, avec la machiavélique conviction que le pouvoir était, bel et bien, à la Kasbah et que les autres perchoirs sont là pour y loger les comparses. Ce vieillard faisait peur. Et franchement, l’histoire leur a donné raison. BCE a réussi en deux ans ce que seul Bourguiba pouvait faire : redresser une situation totalement déséquilibrée et en sortir par le haut.
Les actes politiques post décision de BCE s’inscrivent dans cette espèce de fatalité. Ennahdha délogée de sa pole position. Ettakatol et le CPR éjectés vers les derniers rangs avec, pour le premier, un cinglant « non classé ». Première victoire aux Législatives et franc succès à la Présidentielle. Le parcours politique de Nidaa depuis le double assassinat de Chokri Belaïd et de Mohamed Brahmi était inscrit dans de la roche, dans l’histoire ancienne et nouvelle de la Tunisie et dans …l’ADN de Mohamed Beji Caïd Essebssi. Ni Ennahdha, ni encore moins Marzouki, qui a livré une bataille par procuration à la place du parti islamiste, n’ont réussi à endiguer le fleuve Caïd Essebsi. C’était inéluctable malgré l’esprit de terreur que voulait insuffler les Mansar, Kahlaoui, Ellouze, au début et la chaude et bouillante cocotte-minute Samia Abbou.
Cruellement, le clan Mohamed Moncef Marzouki a finalement dû baisser pavillon non sans avoir livrer une bataille parsemée de coups bas et une campagne presque haineuse. Le clan Marzouki a dû se plier face à la lame de fond BCE. Il a dû s’avouer vaincu devant la « Vox populi vox Dei » qui a rejeté la discorde et a voulu clôturer définitivement la parenthèse de la Troika.
Le loup dans la bergerie
Curiosité d’une logique : Des trois partis qui composaient la Troïka, seul le parti «confessionnel » est resté debout. Les deux autres se sont effrités et ce n’est pas les un million trois cents mille voix de Marzouki au deuxième tour des présidentielles qui laisseraient planer un doute. Celui-ci n’existe tout simplement pas pour les raisons que l’on connaît et que les cadres du CPR voudraient ignorer, histoire de s’aventurer dans un nouveau cru de batailles face à leurs acolytes d’hier, les caciques du parti islamiste Ennahdha. Statistiquement, les caciques du CPR voudraient marger sur les 70 % des votants Ennahdha de Moncef Marzouki aux premier et deuxième tours des présidentielles et qui ont voté, lors des Législatives, pour le parti islamiste. Or l’analyse que l’on faisait à l’issue du vote pour l’Assemblée, c’est que Ennahdha est restée sur son socle incompressible qui n’ira pas ailleurs, quelles que soient les conditions, à moins d’un tsunami. Tout dépendra alors de la définition collée par le parti Islamiste à Mohamed Moncef Marzouki sachant que par les revirements observés ces dernières quarante-huit heures, il s’agit bien d’une vague importante qui se dessine au large risquant d’emporter une bonne partie de l’électorat confessionnel positionné sur l’aile dure du parti islamiste. Ensuite, du CPR, il n’en reste quasiment rien. Quelques militants et les deux Abbou criant leurs éternelles opposition et rancœurs. Enfin, les seconds couteaux du clan Marzouki voudront faire du parti un tremplin, pour ceux qui y resteront, et un monnayage pour ceux qui le quitteront.
Pour toutes ces raisons, Mohamed Moncef Marzouki sait pertinemment qu’il a joué sa dernière carte politique en tant que CPR et que son aura n’est réellement vraie que lorsqu’il joue un rôle par procuration. Ce ne sera, malheureusement pour lui, plus le cas pour les années à venir si chaque parti décidait d’avoir son propre candidat à la présidentielle. Ennahdha ne refera probablement plus les mêmes erreurs tactiques et stratégiques d’abandonner le terrain quand il faut l’occuper, convaincu aujourd’hui que la nature ( même si elle n’est pas en odeur de sainteté chez les partis d’obédience confessionnelle ) qui s’impose à tous a horreur du vide. Le parti islamiste, visiblement secoué par les positions pro-Marzouki en son sein, fera tout pour éloigner le loup de la bergerie. Et c’est précisément dans la bergerie que se situe le prochain combat de Mohamed Moncef Marzouki . Il sera livré sur les vertes et prometteuses terres d’… Ennahdha. Le président temporaire sortant, placé au pouvoir par la grâce d’Ennahdha, emmené au second tour par la même grâce, rêve de toucher, enfin, par lui-même à cette grâce et guider ses troupes, prêtes à tout, autour de son retour à Carthage.
Mohamed Moncef Marzouki a, par le passé, tenu peu de promesses. Aussi, celle qu’il a faite de quitter la scène politique en cas de défaite, a de très faibles chances d’être tenue. La cible prochaine sera le « réservoir » d’Ennahdha. A trop vouloir jouer le feu, le parti islamiste risque d’en être la principale victime de sa propre sorcellerie.