Tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes :
Après avoir déclaré dimanche soir, tout juste après que le camp adverse eut proclamé sa victoire, avoir remporté le deuxième tour de l’élection présidentielle, le président sortant, Moncef Marzouki, avait accepté sa défaite le jour de l’annonce du résultat officiel par l’ISIE et a même appelé son adversaire, Béji Caïd Essebsi, pour le féliciter en assurant qu’il ne déposera aucun recours contre ledit résultat auprès du Tribunal Administratif.
A l’éclatement de quelques émeutes dans des régions du sud tunisien, Marzouki s’était adressé à ses sympathisants en leur demandant d’accepter les règles du jeu de la démocratie et d’être à la hauteur du moment historique du pays. A ces réactions, les analystes politiques, l’ISIE et même le président de l’Assemblée des Représentants du Peuple ont annoncé que la passation se ferait au plus tard à la fin de cette semaine.
Retour au ‘on gagne ou on gagne’ :
C’est depuis le balcon du quartier général de sa campagne électorale, qui se situe dans la ville de l’Ariana, que Moncef Marzouki a choisi de s’adresser, hier mardi 23 décembre, à ses sympathisants dans un discours annoncé 24 heures à l’avance.
Après l’hymne national, les présents ont scandé des slogans hostiles « contre le retour du RCD et de l’oppression ». Avec un large sourire, le président sortant a pris la parole pour annoncer que, même si transparente, l’élection présidentielle a connu de graves infractions. « Je réunirai mon équipe juridique et on mettra l’ISIE devant ses responsabilités », affirme-t-il. A rappeler ici que son directeur de campagne, Adnen Manser, n’a pas cessé depuis dimanche soir de répéter que son candidat n’allait, en aucun cas, déposer de recours contre les résultats de l’ISIE.
Face à un public en pleine hystérie, répétant des slogans à l’encontre du camp vainqueur, Marzouki a annoncé avec fierté qu’il voyait la naissance d’un « nouveau peuple ». Oui, on a bien entendu et vous avez bien lu. Un nouveau peuple qualifié de citoyens. Rappelons que, lors de sa campagne du premier tour de la Présidentielle, Marzouki avait qualifié « les autres » de « peuple de machine, la machine de l’ancien régime, la machine de l’oppression, la machine de l’argent politique. »
Ayant donc un ‘nouveau peuple’ de citoyens à sa disposition, l’ancien président provisoire a annoncé la naissance d’un nouveau mouvement : Mouvement du Peuple Citoyen. Adieu le Congrès pour la République ? Oui et non, parce que tout juste après cette annonce, et comme à son habitude, A. Manser a démenti l’information expliquant qu’il s’agissait d’une nouvelle « dynamique politique » et non pas d’un nouveau mouvement. D’ailleurs, l’ex-leader d’Ennadhah, Hamadi Jebali, a aussi émis un démenti concernant la rumeur qui disait qu’il avait rejoint l’initiative du Peuple Citoyen.
Populisme quand tu nous tiens :
« Ils ont refusé pendant 50 ans de mettre en place des élections transparentes, nous leur avons imposé ces élections et aujourd’hui, nous continuerons notre bataille », enchaîne le président sortant, accompagné par une foule qui criait « falsifié, falsifié, nous voulons une nouvelle révolution ! ». »Pas de liberté ni de retour pour la mafia destourienne », scandait la foule.
Flashback : Toujours lors de sa campagne électorale, Moncef Marzouki avait accordé une interview dans laquelle il avait assuré qu’il quitterait la scène politique en cas d’échec pour reprendre ses activités d’écrivain, de militant des Droits de l’Homme et de médecin.
Voilà qu’il annonce avec assurance que son nouveau parti serait la quatrième force du pays et qu’il serait le garant pour barrer la route aux dictateurs et extrémistes. « Je lance un appel à tous les citoyens qui cherchent la dignité loin de toute idéologie futile, j’appelle tous les démocrates qui ne font pas du progressisme futile, qui n’accordent pas de place qu’aux apparences, leur unique but, de nous rejoindre dans notre initiative ». Difficile de croire ici qu’il ne s’agit là que d’une simple « dynamique politique ».
Un point pour Marzouki qui adresse, implicitement, cette partie là de son discours à la base d’Ennahdha, balayant d’un revers de la main la division entre laïcs et islamistes et la concentrant sur citoyens et non-citoyens.
Qu’en dirait Gbagbo ?
Avec un discours pareil, alors que le pays vit sous la menace des émeutes et celle du terrorisme, on ne peut ne pas avoir de craintes quant à l’avenir très proche de l’ex-locataire du palais de Carthage. Qu’il lance un parti dénommé ‘Peuple Citoyens’, cela ne peut qu’aggraver les prémices de la division qui pointe à l’horizon. Que ses sympathisants affichent des slogans aussi hostiles et fascistes, au vu et au su de tout le monde, cela ne peut être que le signe d’une animosité qui risque de déborder.
Quand Moncef Marzouki avait plagié le slogan de Laurent Gbagbo, le tristement célèbre dictateur de la Côte d’Ivoire, nous avions exprimé nos craintes de le voir refuser les résultats de la Présidentielle et de déclencher des émeutes dans le pays. Ses premières réactions nous avaient largement rassurés. Mais nous voilà aujourd’hui confrontés à la scène qui a eu lieu hier soir, en attente d’un éclatement dont serait responsable celui qui l’a provoqué, comme l’a déclaré un dirigeant d’Ennahdha sur le plateau de Nessma à la clôture du vote du second tour dimanche 21 décembre.