Au terme de près de quatre années de transition chaotique, ponctuées par l’adoption d’une nouvelle Constitution, les institutions de la Seconde République deviennent réalité. Après l’élection de Béji Caïd Essebsi (BCE) à la Présidence de la République et la mise en place de l’Assemblée des Représentants du Peuple, la prochaine nomination du chef de gouvernement et la formation de son gouvernement (qui devrait prendre place au début de l’année 2015) clôtureront l’instauration du nouveau régime. Le destin de la Tunisie se trouve en partie dans les mains de celui qui est à la fois chef de l’Etat et leader du principal parti politique du pays. La position de BCE renforce mécaniquement la fonction présidentielle telle que définie par la Constitution. En effet, avec le jeu du « fait majoritaire » (phénomène de concordance des majorités présidentielle et parlementaire autour d’un seul et même chef), BCE est l’homme fort du nouveau régime. Il lui revient de nommer prochainement le Premier ministre qui sera à la tête d’un gouvernement dont la composition dépend des tractations politiques où BCE se trouve à nouveau – et logiquement – au centre. La perspective d’une concentration des pouvoirs exécutif et législatif se dessine et le régime parlementaire mixte imaginé par les constituants risque de basculer rapidement dans une forme de présidentialisme. Pourtant, le pays demeure politiquement divisé. La tension qui a traversé la campagne l’atteste. Il faudra donc que le nouveau pouvoir ne confonde pas majorité et autorité, autorité et autoritarisme.
Partant, un tel pouvoir d’Etat semble disposer des moyens politiques et institutionnels pour mettre en œuvre son programme de redressement du pays. Car, faut-il le rappeler, l’origine de la Seconde République trouve ses racines dans la révolution. En conséquence, le nouveau régime sera jugé à l’aune de sa capacité à répondre aux maux qui ont provoqué le soulèvement du peuple tunisien. Or le contexte actuel est particulièrement difficile et complexe à appréhender. La tâche du gouvernement s’annonce ardue. Il suffit ici de souligner les principaux défis auxquels il sera confronté.
Les avancées politiques et démocratiques risquent d’être annihilées par le statu quo voire les régressions économiques et sociales. La Tunisie était jadis louée et montrée en exemple pour son développement économique et social. Cette vitrine promue par le régime Ben Ali – avec le soutien des chancelleries occidentales et les instances internationales – s’est brisée avec la révolution, qui a permis de mettre en lumière la réalité brute de la Tunisie, celle d’un système de captation des richesses nationales par le couple présidentiel et ses affiliés. La corruption et la prédation auxquelles s’est adonné l’entourage de l’ex-président Ben Ali et de son épouse Leila Trabelsi sont les principales causes de la situation économique du pays.
De plus, la révolution a fait tomber les masques, la transition n’a pas permis de répondre aux aspirations de ses acteurs. Pis, la situation semble s’être dégradée comme l’indiquent les chiffres de la croissance du PIB par habitant et l’inflation (6 % environ) qui pèse sur le pouvoir d’achat. Le chômage a augmenté (un peu plus de 15% officiellement), en particulier pour les femmes et les jeunes, grimpant à plus de 30 % chez les diplômés. Fer de lance de la révolution, les jeunes diplômés au chômage demeurent confrontés à un cruel manque de perspectives. Cet échec a nourri le taux d’abstention parmi la jeunesse du pays lors des scrutins législatifs et présidentiel.
Une manière pour ces jeunes démunis de manifester leur désarroi et leur déception. Un sentiment de plus en plus prégnant à mesure que l’on s’éloigne des zones côtières. Les disparités sociales et territoriales se sont creusées. Des régions entières de l’intérieur du pays demeurent délaissées et ses habitants se sentent abandonnés. Le déficit d’investissements (publics/privés), d’infrastructures et de services publics se fait encore cruellement sentir. Le système fiscal est lourd et inefficace. Autant de défaillances et d’impasses qui ont contribué au développement de l’économie parallèle et informelle synonymes de manque à gagner pour les caisses de l’Etat. Les finances publiques au plus bas excluent l’hypothèse d’une relance économique par la redistribution sociale. L’Etat n’en a pas les moyens budgétaires.
Des secteurs structurels de l’économie nationale demeurent dans l’expectative. Le secteur du tourisme n’a pas retrouvé sa vitesse de croisière, loin s’en faut. Il faut notamment regagner la confiance des touristes français, particulièrement échaudés par l’instabilité et l’insécurité que renvoient parfois l’image du pays. En cela, le défi économique (qui inclut l’intervention d’investisseurs étrangers) passe par le retour de l’ordre.
En outre, le rétablissement de l’ordre et de la sécurité s’imposent à l’agenda politique du futur gouvernement. Face à la menace djihadiste et terroriste, la restauration de l’autorité de l’Etat se fait particulièrement pressante. Les zones frontalières avec l’Algérie et la Libye sont sous tension, entre menaces djihadistes et trafics en tous genres. Les attaques meurtrières dont sont victimes les forces de sécurité se sont banalisées. Les jeunes Tunisiens (2000 à 3000) forment le plus fort contingent de djihadistes étrangers partis combattre en Syrie et en Irak, au sein de l’Etat Islamique (DAECH). Leur retour à terme constitue un vecteur d’instabilité, une sorte d’épée de Damoclès qui plane sur la sécurité du pays.