La stabilisation politique et le succès de la transition démocratique de la Tunisie sont en grande partie liés à la relance de l’économie nationale. Dans son rapport périodique sur « Les perspectives de l’économie mondiale » publié en avril 2014, les prévisions de croissance du FMI pour la Tunisie étaient de l’ordre de 4,5%. Finalement, lors d’une conférence de presse organisée il y a quelques semaines à Tunis, la représentante du FMI en Tunisie, Giorgia Albertin, a déclaré que la croissance de l’économie tunisienne ne devrait atteindre que 3,7%. Un chiffre en baisse qui annonce d’autres mauvaises perspectives pour 2015 : l’inflation sera toujours élevée à environ 5%, le taux de chômage devrait atteindre 16% de la population active. Derrière ces chiffres, il y a inscrit en filigrane les défis auxquels le gouvernement à venir devra faire face.
Le gouvernement tunisien n’est pas condamné à l’impuissance : le volontarisme politique comme la compétence technique ont leur importance dans la bonne gouvernance d’un pays. Toutefois, la Tunisie comme tout pays n’échappe ni à son environnement régional ni au contexte international, globalisation / interdépendance économique obligent. Si le FMI prévoit une croissance mondiale de près de 3,8%, l’année n’est pas encore celle du rebond pour l’Europe. Or, faut-il le rappeler, l’Union européenne (UE) demeure de loin le principal partenaire commercial de la Tunisie (80% de ses échanges commerciaux), qui est l’un des premiers bénéficiaires de l’aide européenne (390 M € pour 2011-2013). Mécaniquement, la Tunisie a été directement affectée par la crise européenne. Il est donc essentiel de s’enquérir de l’état de santé de l’économie européenne pour mieux évaluer ses propres perspectives économiques.
Selon les prévisions économiques de la Commission de Bruxelles, la croissance européenne devrait s’accélérer légèrement en 2015, et ce grâce à une demande internationale et intérieure plus vigoureuse. L’activité économique en Europe devrait donc retrouver en 2015 son niveau d’avant la crise. Il est vrai que la reprise se renforce et se manifeste dans la grande majorité des États membres de l’Union européenne, même les plus vulnérables. Les prévisions de croissance réelle du PIB pour 2015 atteignent près de 2,0 % pour l’UE et 1,7 % pour la zone euro. En 2016, la consolidation du secteur financier (à la suite de l’évaluation globale de la Banque Centrale Européenne et des progrès accomplis dans la réalisation de l’Union bancaire) et les premiers effets bénéfiques des réformes structurelles menées récemment devraient également favoriser une accélération de l’activité économique à 2,0 % pour l’UE et à 1,7 % pour la zone euro. Toutefois, la reprise amorcée en 2013-2014 demeure fragile et le climat économique reste peu propice dans de nombreux États européens. La reprise dans l’UE semble faible, que ce soit par rapport à d’autres économies développées ou aux niveaux- généralement déjà faibles et fragiles- enregistrés par le passé après une crise financière. De plus, les tensions géopolitiques, la fragilité des marchés financiers et le risque d’une mise en œuvre incomplète des réformes structurelles nécessaires font craindre une détérioration des perspectives de croissance.
Les relations économiques euro-tunisiennes s’inscrivent dans un cadre légal, conventionnel qui a progressivement évolué dans le sens d’une logique intégrative. Après un premier accord bilatéral de coopération signé le 25 avril 1976, les relations entre la Tunisie et l’Union européenne sont marquées par l’Accord d’Association (AA) signé en 1995 (mais entré en vigueur en 198), qui a donné lieu à une zone de libre-échange (ZLE) entre les deux parties. Outre la libre circulation des marchandises, il contenait des dispositions en matière de paiements, capitaux, concurrence et autres dispositions économiques et a mis en place une coopération dans les domaines politique, économique, social, scientifique et culturel. Il a par ailleurs élaboré les contours de la coopération financière afin de supporter les dispositions de l’accord et le processus de réformes du pays. Le 1er janvier 2008, la Tunisie devient le premier pays de la rive sud à intégrer la zone de libre-échange pour les produits industriels avec l’UE.
La dérive mafieuse de l’ancien régime n’a pas permis à ces dispositifs de donner leur plein effet. Autrement dit, la Tunisie n’a pu en profiter pleinement. Pour parachever ce processus de quasi « intégration économique » de la Tunisie à l’UE, le principe d’un statut de partenaire privilégié ou « avancé » a été signé après la Révolution, en novembre 2012. Ce statut implique que l’UE et la Tunisie peuvent entretenir des relations de coopération politique et économique très approfondies. Ce statut avancé doit aboutir à un Accord de Libre Echange Complet et Approfondi (ALECA), pour privilégier une intégration économique plus étroite entre l’UE et la Tunisie et permettre d’ancrer davantage la Tunisie dans l’espace économique européen. C’est dans cette même dynamique que la Chambre Economique Européenne de Commerce, d’Artisanat et d’Industrie (EEIG) a lancé le 4 décembre dernier ses activités en Tunisie. Il s’agissait officiellement de renforcer les liens entre les partenaires des États membres de l’Union européenne et les opérateurs économiques tunisiens. Ces derniers en ont bien besoin, car derrière les liens commerciaux étroits entre la Tunisie et l’UE, le déséquilibre continue de caractériser leurs rapports. Au regard de la balance commerciale respective de l’Europe et de la Tunisie, il est clair que cette dernière s’est placée dans une relation à la fois de dépendance et d’appauvrissement qu’elle ne saurait accepter comme une donnée structurelle indépassable…