Homme du barreau depuis 45 ans, Samir Annabi est président de l’Instance nationale de la lutte contre la corruption (INCC), créée le 14 novembre 2011, après les élections de 2011. Rencontré par leconomistemaghrébin.com lors de la remise des prix des meilleurs dénonciateurs de la corruption, organisée par l’organisation I Watch le samedi 24 janvier à Tunis, Samir Annabi témoigne des difficultés rencontrées pour faire face à la corruption. Entretien…
leconomistemaghrébin.com: Quels sont les problèmes que vous avez rencontrés depuis la création de l’instance à ce jour ?
Samir Annabi : Il y a toute une série de problèmes. Il faut tout d’abord rappeler que le domaine de la lutte contre la corruption est nouveau et très technique à la fois, ce qui explique que nous n’avions pas de personnes spécialisées dans la lutte contre la corruption. Malgré la définition de notre statut par la loi, l’administration a refusé de le mettre en application, notamment en ce qui concerne, notre indépendance budgétaire (un budget de 390 mille dinars par an). Ce budget, que je qualifierais de dérisoire, nous l’avons accepté par principe car avec la nouvelle instance constitutionnelle les choses doivent changer.
Quel est l’indice de perception pour combattre la corruption en Tunisie ? Et comment peut-on le mesurer?
Il est très difficile de donner une évaluation juste et scientifique de la situation, mais comme vous dites, il y a des indices de perception développés par des professionnels, par des techniciens, par des banquiers, qui peuvent donnent une perception de la corruption. C’est pour cette raison que l’on parle d’une perception et non d’une évaluation réelle. Mais ce sont quand même des indicateurs très importants et fiables, comme par exemple la notation de Fitch Ratings, et les autres agences de notation et qui ont une influence particulière sur le climat de l’investissement dans le pays.
Je m’explique : quand les gens voient que l’indice de perception est bas, ils ne feront pas confiance au pays.
De façon plus explicite ?
Un indice qui est bas veut dire que la corruption est bien assise dans le pays, et que par conséquent, l’investisseur étranger a peur de venir dans ce pays où il peut être la victime de pression qui l’obligeraient à payer des pots de vins.
J’ai rencontré le secrétaire général des Nations Unies M. Ban ki Moon lors de sa visite en Tunisie, en octobre dernier et au cours de notre entretien, il m’a déclaré: « J’ai vu votre président Mohamed Moncef Marzouki et le Chef du gouvernement Mehdi Jomaa, tous les deux m’ont parlé de développement économique, de croissance économique, de taux de croissance. Je n’ai pas manqué de leur signifier que pour les Nations Unies la priorité, c’est la lutte contre la corruption, parce que sans climat sain, il n’y aura pas d’investissement, il n’y aura pas non plus de croissance économique ».
Lors de votre intervention, vous avez évoqué que dans les marchés publics, plus il y a de négociations, plus le risque de corruption est grand, c’est-à-dire ?
Les marchés publics constituent l’un des domaines de prédilection de la corruption parce que c’est là où il y a de l’argent. S’il n’y pas d’argent, il n’y aura ni corruption ni corrompus, ni des gens intéressés.
Pensez vous que la corruption a augmenté ou baissé avant et après la révolution?
Je pense qu’elle a baissé en ce qui concerne la grande corruption et elle a augmenté pour la petite corruption.
Qu’entendez vous dire par “petite et grande corruption” ?
La petite corruption, c’est ce qu’on appelle le “Bakchiche” qu’on paie à l’agent de l’administration. La grande corruption se retrouve quant à elle dans les grands marchés publics.
Or ces derniers temps, il y a eu moins de marchés publics importants, moins d’acquisition de bateaux, d’avions, ou encore de construction de barrages.
Deux sujets d’actualité, qui font débat, actuellement, à propos du gaz de schiste et du pétrole, où se situent les intérêts ?
Ce domaine est très délicat, et j’ai même proposé à la commission concernée de l’ANC, d’instaurer réellement une commission Ad hoc, une commission spéciale pour examiner ces problèmes, parce que non seulement il y a beaucoup d’argent dans ces secteurs, mais aussi beaucoup d’intérêts internationaux en jeu. Il faut réellement avoir des gens formés et spécialisés aussi bien sur le plan comptable que sur le plan technique et autres.