« Lamente-toi s’il pleut, lamente-toi s’il ne pleut pas », ce dicton résume la situation des gouvernorats de Jendouba et Boussalem, victimes des dernières inondations. L’eau a envahi près de 500 ha de terres agricoles limitrophes de l’oued, inondant certains quartiers des agglomérations. Heureusement, il s’agit d’inondations sans mort d’homme, grâce à la mobilisation des unités d’intervention, confortés par la solidarité nationale. Caractérisé par un écoulement permanent sur l’ensemble de son cours, la Medjerda est le seul fleuve tunisien et le plus important cours d’eau de la Tunisie. Il constitue le château d’eau du pays, fournissant à lui seul 37 % des flux annuels moyens en eau de surface de tout le pays. Or, la Tunisie est périodiquement affectée par des crues et des inondations catastrophiques qui engendrent parfois des pertes humaines et des dégâts matériels importants. Citons, à titre d’exemple, les inondations de septembre et d’octobre 1969, celles de mars 1973 et celles de 1990 qui ont touché plusieurs régions de la Tunisie.
D’importants barrages ont été édifiés, pour maîtriser le cours de la Medjerda et assurer la conservation de ses eaux : Béni M’tir (1954), Nebeur (1955), Lakhmès (1966), Kasseb (1969), Bou Hertma (1976), Sidi Salem (1982) et Siliana (1990). Le barrage de Sidi Salem, le plus imposant, est construit sur le cours principal de l’oued Medjerda à l’ouest de Medjez El-Bab. Sa capacité de stockage à la cote normale, après son rehaussement, est d’environ 750 millions de m3. Outre l’alimentation en eau potable, l’irrigation et la production d’hydroélectricité, cet ouvrage est conçu pour protéger la basse vallée de la Medjerda contre les inondations, en exerçant le laminage des débits de pointe, notamment lors des plus fortes crues. De fait, le barrage a permis de diviser le débit de pointe de crue centennal par trois. À la station de Slouguia, ce dernier est passé de 3300 m3/s avant la construction du barrage à 1100 m3/s après son entrée en service (Zahar Y. et Benzarti Z. « impact du barrage de Sidi Salem sur les risques d’inondation dans la basse vallée de la Medjerda. » Atlas de l’eau en Tunisie. Édit. UR GREVACHOT, FSHS de Tunis, 2008, p. 144-149).
De nombreuses études ont montré la persistance des risques d’inondation, en dépit de la construction des barrages: Hayet Chekir affirme que « les grandes crues sont retenues ou écrêtées, par le barrage Sidi Salem, alors que les sédiments apportés par les opérations de dévasement restent dans le lit et diminuent sa section ainsi que sa pente ». D’autre part, la rétention des grandes crues a aussi permis la prolifération de la végétation, dans le lit de l’oued, ce qui a réduit considérablement la capacité de transit et augmenté le risque d’inondation dans les zones basses » (Hayet Chekir, Crues de la Medjerda, janvier-février 2005). Noômène Fehri adopte ce diagnostic, relatif à la perturbation du régime hydrique de la Medjerda et rappelle que » les crues maximales étant laminées, le curage du lit n’est plus assuré. Les lâchers d’eau turbide, auxquels on procède de temps à autre, via la vanne de vidange de fond, pour dévaser la retenue (dans laquelle se déposent en moyenne 4,8 millions de m3 par an), ont un effet qui reste bien insuffisant pour chasser les sédiments terrigènes jusqu’à la mer » ( » L’aggravation du risque d’inondation en Tunisie : éléments de réflexion », in Varia 2014, volume 8, http://physio-geo.revues.org).
Or le curage du lit, qui constitue désormais une nécessité n’est plus assuré. Un séminaire, consacré à l’expérience nippone en matière de prévention des inondations, aurait défini les prototypes des ouvrages de protection de la zone sud de la Medjerda, qui devaient être construits en quatre tranches (voir l’étude japonaise 2009, « étude sur la gestion intégrée du bassin, accès sur la régulation des inondations dans le bassin de la Medjerda). Les travaux porteront sur le curage de l’oued Medjerda de manière à augmenter sa capacité à 800 m3 par seconde au lieu de 250 m3 actuellement. Les travaux de la première tranche du projet devraient être prêts durant le 1er trimestre de 2015. Les études relatives au barrage Sidi Salem et à la ville de Bousalem devraient être élaborées dans les meilleurs délais (déclaration de Taoufik Kayed, directeur des grands ouvrages hydrauliques au ministère de l’Agriculture, La Presse de Tunisie, 1er octobre 2014).
Ces travaux, accompagnés de construction d’un ou de deux barrages, devraient constituer des priorités. En attendant, les travaux de curage devraient reprendre. Le coût étant exorbitant et répétitif, il vaudrait mieux créer une unité de maintenance, qui assurerait le curage systématique du lit de la Medjerda et des réseaux d’assainissement et d’intervenir en cas de crues (proposition de Hayet Chekir, Crues de la Medjerda, janvier-février 2003, Tunis, mars 2003).
Un scénario de risque zéro n’est certes pas envisageable. Mais la Tunisie devrait suivre l’exemple du Japon, qui a créé des réseaux d’observation et un système d’alerte et de prévention, en collaboration avec l’Etat, les collectivités locales et les habitants (témoignage de l’ambassadeur du Japon à Tunis, Juichi Takahar, lors du séminaire tuniso-nippon). D’autre part, des séances d’entraînement et de simulation sont également organisées au Japon, au profit de chaque quartier, école ou entreprise, instaurant une confiance mutuelle entre les habitants et l’administration. Appréhendant les défis du politique, le nouveau gouvernement ne devrait pas occulter les défis de la nature, pour adopter une politique de prévention, de mobilisation citoyenne et d’alerte. Prenons acte de cette responsabilité partagée.
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