« Quand le sage montre la lune, le fou regarde le doigt ». Ce proverbe chinois définit la réaction de la direction de Nidaa Tounes à la crise de son parti ( Mosaïque.fm, 12 mars 2015 ). Il y a un problème Nidaa Tounes. Au-delà des règlements de comptes, bien évidemment dissimulés, il y a, bel et bien, une opération bien organisée, avec des méthodes tout à fait professionnelles, pour affaiblir le parti au pouvoir, porté par de grandes espérances. Cette affaire là c’est le fond, tout le reste n’est qu’écume.
Rassemblant des anciens communistes, des syndicalistes, des Néo-Destouriens et des indépendants, le péché originel audacieux de Nidaa Tounes est d’avoir voulu nier l’identité de ses composantes, pour créer un parti unique et une identité commune. L’Establishment espérait échapper à cette heure de vérité. Les affrontements entre les clans résument l’alternative qui s’offre à Nidaa Tounes : la loyauté au leader fondateur dans un cas, au prix d’une synthèse idéologique acrobatique ou le cap à gauche de l’autre, au risque de l’affrontement permanent avec la base néo-destourienne. Il y a apparemment opposition entre les réflexes PC qui régissent une certaine direction et des réflexes Néo-Destour qui imprègnent sa base. Entre leurs dirigeants, la bataille est lancée.
Les divergences dépassent, en réalité, cette dichotomie réductrice. Dès lors, trois options s’offrent au parti :
- Une conversion assumée à la ligne libérale, conforme à l’esprit du « printemps arabe« ;
- Une ligne minoritaire, intégrant les fondamentaux de la gauche communiste;
- Un « back to basics », l’idéologie bourguibienne, enrichie par la gouvernance démocratique.
C’est donc un match entre les trois options qui s’engage, incarné par les protagonistes. Les solutions préconisées, par la réunion du comité constitutif de Nidaa Tounes, le 10 mars 2015 (élection d’un bureau politique, le 22 mars 2015, tenue du congrès du parti avant juin 2015 et réunion du Conseil national les 18 et 19 avril 2015 pour préparer le prochain Congrès) pourraient-elles désamorcer la crise ? D’autre part, un appel a été lancé aux militants du parti, afin de tenir compte du fait que « certaines parties tentent de créer des divisions au sein de Nidaa, au profit d’agendas d’ennemis de la Nation et de la transition démocratique ». L’idée d’un « complot extérieur », invraisemblable, a été suggérée. Pourrait-elle occulter les vrais problèmes des remises en cause des instances dirigeantes et particulièrement le comité constitutif ? Cette démarche conduit – on ne peut que le regretter – à affirmer que les convictions, les projets gouvernementaux, les options politiques globales sont secondaires et que les ambitions personnelles de conquête du pouvoir priment sur les idées.
Alors que les Tunisiens attendent des solutions à leurs problèmes (précarité, chômage, pouvoir d’achat), la classe politique privilégie la lutte pour les plans de carrière. Les militants de Nidaa Tounes sont en quête de repères, d’ouverture d’horizon, en application de l’idéaltype du discours fondateur. Or, la crise occulte les attentes des citoyens du nouveau gouvernement, formé en accord avec leurs instances dirigeantes. Ultime espoir, la formation du bureau politique et la tenue du congrès peuvent assurer un ressaisissement de l’Establishment et pourquoi pas, une refondation salutaire, permettant une mobilisation responsable, pour faire face aux défis.