Les diverses fractures qui traversent l’espace méditerranéen et la polarisation nord-sud rendent à la fois difficile et nécessaire son intégration et son organisation en un bloc régional. Un tel projet s’impose au regard de la nouvelle configuration du monde en un espace multipolaire. La formation de blocs régionaux caractérise l’ordre mondial de ce début de XXIe siècle. L’affirmation ou la « démarginalisation » de la Méditerranée sur la scène internationale suppose de pouvoir s’affirmer comme un bloc régional s’exprimant par des canaux communs voire par une voix commune. Or, il n’existe toujours pas d’organisation internationale régionale réunissant les seuls pays du pourtour méditerranéen, avec des objectifs et intérêts communs. Si les pays des rives Nord, Est et Sud appartiennent et participent à des organisations internationales régionales distinctes (Union européenne, Conseil de l’Europe, OTAN, Union du Maghreb Arabe, Ligue des Etats Arabes, etc.), ils demeurent divisés et incapables de porter une voix unique au nom de valeurs, de principes et d’intérêts communs.
A défaut d’organisation commune d’union ou d’intégration, dès l’indépendance des pays de la rive sud, les Européens tentent d’imposer leur conception de la régionalisation en Méditerranée. Dans les années 1960, une politique de proximité fut mise en œuvre par la Communauté économique européenne. Des relations inter-méditerranéennes se nouent et se développent sur la base de simples accords de partenariat et de coopération bilatérale (entre l’Union européenne, les États membres et les pays partenaires méditerranéens de la rive sud) et multilatérale. Puis les partenariats méditerranéens se sont inscrits progressivement dans un cadre général commun susceptible d’ouvrir la perspective d’une meilleure intégration à l’Europe des pays du sud. L’espace méditerranéen est enserré dans un réseau ou tissu de coopération et d’une stratégie d’institutionnalisation des rapports Nord-Sud théoriquement susceptibles de conférer une dimension plus intégrée au bassin méditerranéen. Initiée par les pays de la rive Nord, cette politique et les actions menées s’inscrivent essentiellement dans le cadre l’Union européenne. Une série d’instruments de coopération (accord de libre-échange, statut avancé, accord d’association, Union pour la Méditerranée) définit ainsi le cadre de la coopération entre l’Union européenne (UE) et les pays de la rive sud, en vue de « transformer la Méditerranée en un espace de paix, de démocratie, de coopération et de prospérité ». Or force est de reconnaître que ces divers leviers d’action demeurent insuffisants à remédier au caractère asymétrique aux relations « euro-méditerranéennes ».
La coopération multilatérale entre des pays des deux rives a d’abord pris la forme dans les années 1980 d’une coopération euro-maghrébine. Ce « dialogue 5+5 » regroupe dix États riverains du bassin occidental de la Méditerranée : l’Italie, la France, l’Espagne, le Portugal ainsi que Malte pour la rive Nord, et les cinq pays de l’UMA pour la rive sud (Algérie, Libye, Maroc, Mauritanie, Libye). Il est devenu un moyen de dynamiser le partenariat euro-méditerranéen même si ce n’est qu’un instrument informel. Plus large et plus ambitieux, le Processus de Barcelone est né en novembre 1995. Les ministres des Affaires étrangères des États membres de l’Union européenne et leurs homologues de 14 pays du sud et de l’est de la Méditerranée (qualifiés de pays partenaires méditerranéens ou PPM) ont signé une déclaration marquant le point de départ du Partenariat euro-méditerranéen dont l’originalité est de proposer une réponse globale et multilatérale à l’ensemble des défis de la région en réaffirmant le lien indissociable qui existe entre sécurité, développement économique/humain et démocratie. Le partenariat était dans ce sens une véritable innovation puisqu’il réunissait dans un même projet pays du Nord et pays du Sud autour de problématiques politique, économique et culturelle. Mais en pratique, la politique méditerranéenne globale des Européens se révèle rapidement axée sur la coopération en matière économique, migratoire et sécuritaire, au détriment du dialogue politique et culturel. L’UE décide de manière unilatérale de reconfigurer sa politique de coopération en Méditerranée. Le Processus de Barcelone s’inscrit désormais dans le cadre d’une « Politique européenne de voisinage » dont le nom même souligne la remise en cause de l’ambition initiale : on est passé du concept de « partenariat » à celui de « voisinage ».
Au regard des limites du « dialogue 5+5 », du « Processus de Barcelone » et de la PEV, la présidence française (du Conseil) de l’Union européenne au second semestre 2008 a mis sur orbite l’Union pour la Méditerranée (UPM) créée lors du Sommet de Paris le 13 juillet 2008 par 43 chefs d’Etat et de gouvernement. L’initiative a pour but de créer une nouvelle dynamique politique contournant les structures européennes et offrant une alternative viable à l’entrée de la Turquie dans l’UE. L’UPM doit alors renforcer la coopération régionale en établissant des institutions communes aux pays du pourtour méditerranéen favorisant l’intégration économique et politique, relançant parallèlement le processus de paix au Moyen-Orient en réunissant les pays autour de projets d’intérêt commun et à vocation purement technique : la gestion de problèmes environnementaux (comme la dépollution de la Méditerranée), le développement de l’énergie solaire entre les deux rives, l’amélioration de la gestion de l’eau… Lancée en grande pompe lors du Sommet de Paris du 13 juillet 2008, l’Union pour la Méditerranée (UPM) est un échec. Outre les insuffisances structurelles et l’ambiguïté des objectifs- dans la déclaration finale du Sommet de Paris- l’UPM paie le fait d’avoir sous-estimé les différends/contentieux qui animent la rive sud de la Méditerranée : le conflit israëlo-arabe a été ravivé par les séries d’opération militaire de Tsahal dans la bande de Gaza, le cas du Sahara-occidnetal place les relations entre le Maroc et l’Algérie sous une tension continue… en outre, le « printemps arabe » a mis en évidence les défaillances du système euro-méditerranéen qui n’a pas fonctionné comme espace de dialogue dans les crises libyenne et syrienne, qui n’a pas concrétisé rapidement les promesses d’aide économique et financière.
Les dispositifs de coopération entre les deux rives se sont avérés jusqu’ici passablement inefficaces ou du moins insuffisants pour tisser des solidarités et des intérêts communs. De fait, ils échouent à diminuer les déséquilibres structurels de type centre périphérie qui caractérisent les rapports entre les deux rives de la Méditerranée. En devenant le leader de la construction régionale euro-méditerranéenne, l’Union européenne espérait stimuler un développement économique au Sud par le biais d’une zone de libre-échange et réduire ainsi la pression migratoire qu’elle dit subir. Non seulement ces objectifs n’ont pas été atteints, mais la Méditerranée est toujours loin de correspondre à un réel espace régional économiquement et/ou politiquement intégré. La régionalisation de la Méditerranée est un projet en panne.