Si la grève représente un droit garanti par la nouvelle Constitution tunisienne et un « moyen de protestation » pour les ouvriers, il n’en est pas de même pour les chefs d’entreprise pour lesquels les jours de grève représentent des pertes considérables. Dans cette perspective, l’UTICA a organisé une conférence-débat sur la question aujourd’hui 18 mars à son siège.
Les chiffres parlent d’eux-mêmes : à cause des grèves, 361 464 jours de travail ont été perdus en 2014 et 36 342 jours de travail perdus lors du premier trimestre de 2015. Le problème est de taille et se situe à plusieurs niveaux économique, social et juridique. Hédi Bougarras, avocat près la cour de Cassation, a expliqué que le législateur ne peut intervenir pour mettre hors-la-loi les cas extrêmes quand la Constitution tunisienne est garante du droit de grève.
Par ailleurs, l’avocat a indiqué que la législation tunisienne précise que le préavis de grève doit être envoyé 10 jours avant la tenue de la grève : « C’est une période insuffisante », dit-il. Pour illustrer ses propos, il a rappelé que l’Inde, qui a rejoint le Bureau international du travail, parle de préavis de six semaines à l’avance.
L’avocat a mis en garde contre » ceux qui veulent supprimer les étapes qui précèdent la grève comme l’arbitrage et les tentatives de réconciliation « . Il a plaidé pour l’intervention de l’Etat dans les » grèves abusives » en instaurant la réquisition obligatoire.
Dans la salle qui abritait la conférence, l’inquiétude se lisait sur les visages des chefs d’entreprise qui sont venus livrer leurs témoignages des situations conflictuelles avec leurs ouvriers. Lotfi Houimli, chef d’entreprise d’une grande sacherie, a confié qu’il fait un travail de prévention dans son entreprise : il passe plus de 50% de son temps à négocier des questions d’ordre social relatives aux augmentation salariales, à la productivité et au bon déroulement du travail. Ce qui n’est pas sans conséquence car le temps qu’il passe à prévenir les conflits pourrait être consacré à la recherche de nouveaux marchés. Lorsqu’on lui a suggéré que cette tâche pourrait être confiée à la direction des ressources humaines, il nous répond : « Souvent ça dégénère et je suis obligé d’intervenir en personne ».
Walid Bellagha, chef d’entreprise et membre de l’UTICA de Ben Arous, n’a pas caché sa colère face à la montée des mouvements protestataires : « Ben Arous est une grande zone industrielle. On reçoit toutes sortes de préavis de grève, légitimes et illégitimes. Depuis 2014, nous avons reçu plus de 600 préavis de grève « . Et de continuer : « Au lieu de nous focaliser sur le sauvetage de l’économie tunisienne et de réaliser une valeur ajoutée, on se concentre sur les problèmes syndicaux qui ne cessent d’empirer » et de conclure en lançant un message à l’UGTT : » Cessez de nous mettre les bâtons dans les roues, qu’on puisse relancer l’économie tunisienne », assène-t-il.
Mohamed Ali Zaouali, propriétaire de plusieurs entreprises dans le domaine de l’eau et du sel et président de l’URICA de Ben Arous. Pour lui les grèves sont une réalité de tous les jours vécue par les chefs d’entreprise. : « De nos jours un syndicaliste est capable d’entraver le bon déroulement du travail de toute une entreprise et la gérer de bout en bout », dit-il. Et d’ajouter : «D’ailleurs, nous constatons plusieurs infractions de la part de ces syndicalistes quand ils se laissent aller à des revendications abusives ». « Il faut que tous les partenaires assument leurs responsabilités : les médias, la justice et le pouvoir exécutif », dit-il. D’après M. Zaouali, certaines banques en arrivent à refuser catégoriquement de financer des projets dont le nombre des ouvriers est important de peur des grèves et des perturbations.
Khalil Ghariani, président de la commission des affaires sociales auprès de l’UTICA et membre du bureau exécutif de l’organisation patronale, a, quant à lui, affirmé que tant que les négociations sociales se poursuivent, les grèves n’ont pas de raison d’être.