L’attaque du Musée national du Bardo, qui a coûté la vie à 22 personnes, essentiellement des touristes étrangers, restera comme un événement marquant de l’histoire de la transition démocratique de la Tunisie. L’émotion est forte dans le pays et au-delà. Les messages d’amitié et de solidarité ont afflué des Nations unies, des États-Unis, d’Europe, du monde arabe… Le terrorisme djihadiste est un phénomène global qui concerne directement ou indirectement l’ensemble des acteurs de la planète. Leur sentiment de solidarité va donc de soi. En revanche, l’État tunisien reste dans l’attente de véritables actes de solidarité. Sur ce point, l’aide internationale en matière d’équipements (militaire, sécuritaire) et financière n’est toujours pas à la hauteur… Les déclarations d’intention ne sont guère suivies d’effet. Faut-il que le pays s’effondre pour que les grandes puissances et autres acteurs de la gouvernance mondiale s’engagent pleinement dans la reconstruction économique d’un pays qu’ils présentent comme un modèle de transition démocratique pour le monde arabe ?
Suite à l’attentat, on a malheureusement assisté à l’expression décomplexée d’un regard décliniste et apocalyptique porté sur l’avenir de la Tunisie. D’un côté, certains médias occidentaux ont d’emblée enterré la Tunisie, le journal français Libération n’a pas hésité à intituler l’un de ses reportages « C’est fini la Tunisie, c’est fini le tourisme ». De l’autre, d’anciens collaborateurs du régime benaliste, toujours mus par l’opportunisme macabre et un esprit revanchard, n’ont pas hésité à établir un lien entre la révolution de 2011 et le terrorisme. Leur obsession en faveur d’un retour à l’ancien régime provoque des trous de mémoire qui nous amènent à rappeler l’attentat contre la synagogue de Djerba en avril 2002, faisant 19 morts (des touristes allemands), dont l’ancien régime avait tout fait pour étouffer l’onde de choc dans le pays et dans le monde.
Face à l’horreur et au chaos dans lequel certains souhaitent faire plonger la Tunisie, le peuple se révèle à la hauteur de sa révolution : digne. Cette capacité à faire bloc face au terrorisme donne encore plus de sens à ce que les Tunisiens construisent lentement mais sûrement depuis 2011. La réaction populaire confirme la chute du « mur de la peur », sentiment si caractéristique de l’ancien régime. Le « réveil tunisien » consiste aussi en cela : le peuple fait montre d’une volonté qui écorne passablement l’image essentialiste qui le vouait à la soumission et au fatalisme. Le réveil de 2011 n’est pas mort malgré le désenchantement démocratique qui guette. Les Tunisiens demeurent maîtres de leur destin.
Les Tunisiens doivent faire face aujourd’hui à une autre forme de barbarie, différente de la machine bureaucratique et policière de l’ancien régime. L’attentat ne vient pas de nulle part. Il traduit aussi une situation chaotique en matière sécuritaire. De nombreuses tensions sont ressenties depuis plusieurs mois à la frontière algérienne, théâtre d’attaques terroristes, ainsi qu’à la frontière avec la Libye. Le chaos politique qui règne dans ce pays, aux mains de milices depuis la mort du colonel Kadhafi, a permis l’entrée d’armes sur le territoire tunisien. Et des armes sont sans doute tombées entre les mains des djihadistes salafistes tunisiens. Ils ont refusé la transition démocratique et basculé dans la violence politique, en assassinant en 2013 deux figures de l’opposition : Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi. Un certain nombre de ces djihadistes, revenus en Tunisie après être partis combattre en Libye et/ou en Syrie, représentent des menaces terroristes potentielles.
Le drame est un appel à l’unité nationale, y compris au sein de l’échiquier politique. Le parti islamiste Ennahdha a immédiatement condamné l’attaque, en espérant écarter toute accusation pointant sa responsabilité même indirecte dans cet attentat. Reste que la mémoire collective garde une trace de la main tendue aux salafistes pour les intégrer à l’ordre politique post-révolutionnaire et de l’incapacité de la troïka à répondre promptement à la menace terroriste qui prenait forme dans le pays. C’est notamment cet échec qui a causé leur défaite aux élections législatives. Le peuple tunisien les a sanctionnés par la voie des urnes. Une décision souveraine en partie contournée par le jeu des partis et le choix de Nidaa Tounes de faire entrer Ennahda dans la coalition gouvernementale. Un choix risqué (au regard du message politique brouillé porté par le parti majoritaire), mais qui pourrait se révéler payant en ces temps d’incertitudes, propices aux tentatives de déstabilisation, et dans lesquels l’unité nationale est commandée par la stabilité politique.
Enfin, si la lutte contre le terrorisme s’impose plus que jamais dans l’agenda gouvernemental et parlementaire, les autorités politiques comme celles chargées de la justice et de la sécurité ne doivent pas céder aux réflexes de l’ancien régime, combinant abus de pouvoir, arbitraire et actes de torture au nom de la lutte contre le terrorisme. Il s’agirait là d’un triste retour en arrière synonyme de victoire pour les terroristes et leurs alliés objectifs (ceux qui ont intérêt à une telle régression). La démocratie c’est aussi ne pas céder aux instincts primitifs (comme la vengeance) attachés à la violence, mais au contraire se plier au respect des règles de l’Etat de droit. Le principe étant posé, reste aussi à se donner les moyens de mener une telle lutte contre le terrorisme. Or les premiers éléments de l’enquête soulignent des défaillances coupables, qui ont au moins le mérite d’appeler tout le monde à ses responsabilités, du chef de l’Etat au simple agent de sécurité.