(Cet article est la première partie d’une réflexion sur les retombées positives (sur l’économie) d’une réforme sérieuse du système éducatif publiée chez l’intermédiaire en Bourse MAC SA). Nous proposons dans ce billet de tirer la sonnette d’alarme sur le retard de la réforme du système éducatif et de montrer l’intérêt pour l’économie nationale d’une réforme approfondie de ce système éducatif. D’abord, en repérant les retombées positives d’une réforme sérieuse du système éducatif tunisien sur la performance de l’économie tunisienne. Et ensuite, en essayant de donner un éclairage sur les conditions de réussite d’une réforme sérieuse pour éviter qu’elle ne soit contre-productive.
La situation du système éducatif tunisien est alarmante. Dans le dernier classement triennal du programme PISA, « Programme international pour le suivi des acquis des élèves » (2013), les élèves tunisiens obtiennent des résultats largement inférieurs à la moyenne et ils se classent parmi les derniers. Sur les 65 pays, la Tunisie a été classée 56ème ! Les institutions universitaires tunisiennes ne figurent pas dans les comparaisons internationales. Dans le dernier classement des 500 meilleures universités mondiales, plus connu sous l’appellation Classement de Shanghai, aucune université tunisienne n’y figure ! D’autres pays arabes ont réussi à arracher une place : l’Egypte avec une université (l’université du Caire) et l’Arabie Saoudite avec deux universités (l’université du roi Saoud et l’université du roi Fahd).
Le plus inquiétant reste la montée du chômage chez les diplômés de l’enseignement supérieur. Un chômage qui a allumé la révolte de janvier 2014. Et aujourd’hui, quatre ans après cette Révolution, 31.4% des diplômés sont encore à la recherche d’un emploi.
Malgré les réformes successives adoptées, le système éducatif tunisien souffre d’un décalage, au niveau interne, par rapport aux besoins du marché du travail ; et au niveau international, par rapport aux standards internationaux.
Comment expliquer la persistance, malgré tant de projets de réforme, et de moyens mobilisés, de cet échec patent ? Une réforme en profondeur est-elle opérationnelle aujourd’hui ? Comment l’économie tunisienne peut-elle récolter les dividendes d’une telle réforme ?
La réforme du système éducatif : un « free lunch » pour booster la croissance
La réforme du système éducatif est certes une refonte des programmes et une innovation des méthodes pédagogiques, loin du bricolage et des réformes cosmétiques orchestrées dans la précipitation. La réforme devrait garantir la mise à la disposition des enseignants et des élèves les moyens et les outils indispensables à la formation. Outre la formation présentielle, la réforme doit porter aussi sur la formation à distance, la formation continue, la formation en alternance. C’est aussi une bataille pour introduire les pratiques de la bonne gouvernance dans les établissements scolaires et universitaires.
Quels sont les canaux de transmission d’une réforme du système éducatif tunisien à l’économie ?
Trois principaux canaux peuvent être repérés : le dégonflement de la bulle des cours de soutien ; l’amélioration de la qualité des diplômes et le rapprochement entre l’enseignement et la recherche scientifique.
Le dégonflement de la bulle des cours de soutien
Le premier critère de réussite de la réforme du système éducatif serait ressenti à travers la chute de l’« industrie de l’étude ».
Rappelons que la floraison de l’industrie de soutien scolaire puise ses racines dans quatre facteurs.
Premièrement, il y a la perte de confiance dans le système scolaire et plus précisément dans sa capacité à offrir la formation adéquate pour franchir avec brio les concours nationaux.
Deuxièmement, la flambée des cours de soutien s’explique par la pression parentale, où les parents demeurent convaincus que la seule voie pour réussir dans la vie est tout simplement la réussite scolaire.
Troisièmement, la détérioration du pouvoir d’achat des enseignants explique aussi l’essor de cette « industrie ». Des enseignants à la recherche d’un complément de salaire trouvent refuge dans les cours de soutien pour réaliser au plus vite leurs projets immobiliers, entre autres. Toutefois, ces cours de soutien ont creusé fortement les inégalités au sein même du corps enseignant, où les professeurs des sciences exactes (math, physique, ..) retrouvent très rapidement un salaire proche de certaines fonctions libérales, alors que d’autres profs (arabe, éducation islamique, ..) interviennent rarement sur ce marché et se retrouvent condamnés à se contenter de leurs salaires.
Enfin, la concurrence dans le secteur de l’« industrie de soutien scolaire » a généré des comportements pervers chez une minorité d’enseignants, qui vont jusqu’à recourir à toutes les formes de menaces et de harcèlement pour forcer les élèves à les rejoindre, hors de l’école, dans les groupes de soutien.
Le recours aux cours de soutien était occasionnelle
Aussi bien dans la Tunisie des années soixante et soixante-dix que dans les pays développées aujourd’hui, le recours aux cours de soutien se présentait de façon occasionnelle plutôt qu’une école parallèle comme l’observent amèrement les Tunisiens aujourd’hui. Autrement dit, la réussite de la réforme se mesure à sa capacité à dégonfler la bulle des cours de soutien.
Ce dégonflement serait bénéfique pour l’économie à plusieurs niveaux [Figure 1]:
*L’allègement de la charge des cours de soutien pourrait améliorer le pouvoir d’achat des ménages tunisiens. Certaines familles de la classe moyenne affectent à hauteur de 25% de leur salaire aux « barons » de l’école parallèle. Un gain non négligeable pour certaines catégories de ménages. Le démantèlement d’une activité échappant au fisc et sa canalisation vers des dépenses de consommation dans le secteur formel serait aussi très profitable pour les recettes fiscales.
* L’allègement de la charge des cours de soutien pourrait aussi libérer les week-ends des Tunisiens où les chefs de famille se retrouvent à la fin de la journée et à chaque week-end mobilisés pour transférer leurs enfants d’un professeur à un autre. D’une part, plus de temps libre pour les élèves pourrait engendrer la floraison des activités culturelles et pourquoi pas leur implication dans un travail associatif pour les sensibiliser au civisme. D’autre part, le tourisme intérieur ne pourrait voir des jours de gloire qu’une fois la famille tunisienne se retrouve débarrassée du marathon des heures de soutien scolaire du week-end.