Aujourd’hui, le propre de la nouvelle stratégie des terroristes en Tunisie est de tester jusqu’où ira l’Etat dans la lutte contre ce phénomène et, plus important, quel serait le degré de sympathie et de consentement de certaines catégories de la population pour leurs actions meurtrières. Les manifestations publiques de joie de certains Tunisiens, suite à l’attentat meurtrier des huit soldats du mont Chaambi, furent un tournant à la fois décisif et inquiétant quant à la perception de ce que nous appelons terrorisme dans sa dernière configuration, puisque le terrorisme des uns ne serait pour d’autres qu’un combat légitime dans la voie de Dieu. Dans l’esprit des victimes consentantes du discours idéologique salafiste, ces tueries ne signifient nullement un phénomène porté exclusivement par quelques exaltés. Il fait sens et, pour beaucoup, les massacres ne font que réaliser, par délégation, le vœu de ceux, nombreux, qui se sentent encore incapables de passer à l’acte.
Le propre de la mutation de la stratégie terroriste est de réaliser à long terme, surtout avec la dégradation des conditions d’existence, un effet d’entrainement des populations démunies des nombreux quartiers populaires et de certaines régions du pays toutes aussi indigentes, mais tous acquis à leur cause. D’ailleurs, et c’est une première, dans le communiqué diffusé la veille de l’opération du Bardo, par le porte-parole du groupe interdit d’Ansaar al Chariaa (dont le drapeau noir orne encore les vitres arrières de plusieurs véhicules circulant dans la capitale et alentours) les exhortant à continuer à « défendre leur religion » en pratiquant le djihad, des arguments plus terre-à-terre et plus proches des préoccupations des citoyens y étaient sollicités tels que : la corruption, la cherté de la vie et la marginalisation. Paradoxalement, c’est donc par le truchement d’un chef terroriste que l’on apprend à quel point ce phénomène est devenu structurel en Tunisie.
Contrairement à ce l’on voudrait nous faire croire, le terrorisme globalisé n’est plus aujourd’hui la folie meurtrière de quelques illuminés, c’est l’action devenue inhumaine de ceux qui, de par le monde et sur fond d’absence de perspective d’avenir et d’une ignorance entretenue par l’école et les médias, incarnent l’échec de la politique en matière de lutte contre cette forme de criminalité.
Plus de trois millions de personnes sont descendues dans les rues de villes françaises le 14 janvier dans une réponse publique sans précédent à un acte de violence à motivation politique. Il fait suite à l’indignation mondiale après l’enlèvement de plus de 200 filles d’âge scolaire dans Chibok, une ville du nord du Nigeria, par Boko Haram. De même que 2000 personnes ont été tués à Baga au nord du Nigeria sans compter les attentats suicides dans la région, commis par des adolescentes contraintes à commettre ces actes. Ces réactions massives sans précédent sont à relier au fait que les valeurs fondamentales d’une société ont été attaquées parce que subverties.
Les terroristes sont, par définition, dans la logique d’une entreprise destinée à nous terroriser en nous prouvant qu’il n’y a pas de parade face à leurs attaques, et à porter atteinte aux intérêts économiques du pays. La rente touristique autant que les IDE sont aujourd’hui lourdement touchés et pour longtemps. Leur entreprise relève par conséquent de calculs, de stratégies, d’un usage raisonné de moyens. Ils cherchent avant tout à faire croire qu’ils sont capables de perpétrer des attentats de masse à l’aveugle et sans prévenir, dans le but d’amplifier chez le public le sentiment qu’on est désormais incapables de prévoir l’imprévisible ni de nous relever. Dans le meilleur des cas, en effet, il faudrait compter au moins une décennie de luttes, d’efforts conjoints avec nos alliés et un certain amoindrissement des effets géopolitiques avant que le pays ne retrouve une certaine paix.
De notre côté, nous persistons à considérer ces actions comme un épiphénomène qui, à la limite relèverait de la seule politique de défense du territoire et de la répression de la criminalité organisée. Bref, une affaire de police. Les autorités qui multiplient aujourd’hui les déclarations d’indignations, les menaces tonitruantes et annoncent leur ferme intention d’éradiquer à jamais le terrorisme, pourraient se retrouver acculées demain à baisser le ton devant l’énormité des problèmes économiques et sociaux qui nous attendent et par les brèches desquels s’engouffreront davantage de candidats aux attentats suicides. Et il n’y a rien de pire que l’accoutumance au malheur, que les routines et les préoccupations quotidiennes qui prennent le pas sur les véritables inquiétudes par rapport à un phénomène devenu incontrôlable. Allons-nous devoir nous habituer à des actes dégradants et horribles et à fortement nous indigner lorsqu’une autre violence sera perpétrée contre des civils ou des forces de l’ordre pour ensuite les oublier ? Dans l’esprit d’une majorité de Tunisiens, la menace terroriste est à la fois intermittente et lointaine et ils finiront même par vivre avec. Alors que faire ? Comment contribuer à trouver une parade à l’augmentation de la violence de l’EI, de Daech, de Boko Haram, d’Al-Qaïda et tous les autres assassins de la liberté et de la démocratie ?
La réponse est d’abord dans la résistance massive, la capacité de résilience du public et la lutte contre l’ignorance et la bêtise de toute une jeunesse formée à l’inculture de masse. D’une certaine manière, la mobilisation organisée de la société civile dans toutes ses composantes demeure le véritable rempart. Au gouvernement de faciliter ce sursaut de conscience et de créer l’espace politique nécessaire à la mobilisation générale : dans les programmes scolaires, les universités, les mosquées, les médias, les entreprises, en recourant à la pédagogie pour définir et expliquer la nature de ce mal aux conséquences incalculables. Mais les actions de résistance de la société civile, bien que nécessaires, sont insuffisantes. Car il faut aussi des politiques crédibles et des réalisations concrètes qui puissent répondre aux préoccupations des citoyens en matière de cherté des prix, d’emploi, des difficultés de vie et de partage des richesses par une fiscalité équitable. C’est que les résultats obtenus jusqu’ici sont si maigres que les gouvernements successifs autant que le public avaient fini par croire qu’on est en présence d’un problème insurmontable pour lequel il n’existe plus aucune solution.
La lutte contre le terrorisme ne se réduit pas non plus à une augmentation des effectifs policiers, ni à une élévation du niveau de vigilance en complément d’autres moyens de défense militaires, mais exigent essentiellement une refonte complète des instruments de transmission d’un système de valeurs communes et universelles dans la sphère de la morale, de la religion, de la politique et de l’économie politique. Cette révision devrait partir de l’école et au-delà. Mais l’école n’est déjà plus ce lieu de médiation entre le foyer et la vie sociale. Certes, il y a bien les élites politiques, mais leur bilan est si décevant et leur indigence à gouverner si manifeste, qu’elles se retrouvent de plus en plus décalées voire opposées à la réalité du présent et, du coup, exécrée par la population. Alors que faire ? Repenser une nouvelle révolution qui ne serait pas simplement la fin d’un régime politique et le début d’un marasme économique ? Réformer toutes une série d’institutions et en rajouter d’autres sans que cela débouche sur des décisions importantes ? Lutter contre le délitement social tout en prétendant restaurer l’autorité de l’Etat ? Bien malin qui connaît la réponse.
Sincèrement L’Islam peut s’en passer de ces soi-disant protécteurs , qui ne protègent que le leur intérêt, mais du temps de Bourguiba les Tunisiens n’étaient pas moins musulmans ! Ce que les Tunisiens ont besoin c’est du pain , parce que les gaver de religion ne résout pas le problème , on finirait par dégoûter les gens ,de ne parler que de religion au lieu de leur bien être, parce que la religion est une affaire personelle !