Dans son édition du 2 avril 2015, l’hebdomadaire parisien de gauche Le Nouvel Observateur a publié dans la rubrique « Débats », un long article signé Béji Caïd Essebsi, et ce, au lendemain de l’attentat du Bardo et à la veille de sa visite officielle en France. Extraits :
« Le bon grain de la liberté a su trouver dans le terreau tunisien le ferment pour germer et prospérer jusqu’à proclamer, à l’adresse du vaste monde, qu’il l’a emporté, jusqu’ici, face à l’ivraie. Certes, les mauvaises herbes n’ont pas pour autant disparu, ni renoncé à vouloir étouffer cette jeune pousse encore novice en contexte arabe. La récente attaque du Bardo illustre cruellement cette réalité. Elle visait notre démocratie, notre économie et notre tradition d’hospitalité légendaire. Les noms des victimes tombées sur notre sol ont été inscrits sur une stèle implantée sur l’esplanade du Bardo pour être ainsi mêlés, à jamais, à notre mémoire nationale. Cette jeune pousse de la liberté est entre de bonnes mains. Elle est courageusement protégée par la volonté acharnée de tous les Tunisiens qui font honneur au fameux poème de Chebbi, emblème de notre hymne national : « Quand le peuple vient à choisir la vie, le destin ne peut que s’y plier ! » Nous l’avions illustré lors de notre combat d’émancipation nationale. Nous avions choisi la vie, en commençant par le respect de la vie en elle-même, pour nos compatriotes, mais aussi pour nos adversaires et néanmoins, à l’époque, oppresseurs.
Les dirigeants du Mouvement national, Bourguiba en tête, considéraient que la liberté acquise par et dans le sang ne pouvait que s’y noyer et que, accrochée au bout du seul fusil, elle en deviendrait irrécupérable pour un futur Etat que nous voulions, dès l’origine, et à demeure, indiscutablement civil.
Ce moment du passé de notre épopée nationale peut-il éclairer l’« exception tunisienne » d’aujourd’hui au regard du paysage chaotique que connaissent les autres pays du « printemps arabe » ? Sans aucun doute. Préférer les petits pas aux sauts dans le vide, privilégier le pragmatisme à l’aventurisme, la négociation à l’affrontement, la modération aux surenchères, la raison au fanatisme, tels sont les principes qui ont guidé notre long processus de libération nationale.
Le 12 juin, lorsque je fus rappelé à la primature en 2011 dans les conditions dramatiques que l’on sait, je l’ai accepté avec le sentiment que l’Histoire me tendait la main pour réussir le processus démocratique que nous avions échoué à mettre en œuvre en 1970. Je n’avais point l’idée de reprendre durablement une carrière politique. Je voulais simplement faire aboutir la transition de la révolution à l’Etat renouvelé. J’étais fortement motivé par l’espoir de sauver la révolution du chaos qui la guettait si l’Etat tunisien venait à imploser. Mon passage à la primature ne fut pas long. Huit mois. Mais j’avoue ne pas être mécontent de mon bilan au terme de cette période éclair. Nous avions tenu les premières élections libres et transparentes dans un pays arabe. L’Histoire le retiendra. »