Cette « note de politique économique » fait partie d’une série réalisée dans le cadre de NABES Lab destinée à enrichir le débat économique en Tunisie. Ces notes sont basées sur les meilleures recherches économiques disponibles et les auteurs sont des chercheurs universitaires. Les points de vue présentés sont ceux des auteurs et ne représentent aucunement ceux de NABES. NABES est la North Africa Bureau of Economic Studies Intl, une institution d’études et de recherches économiques dirigée par Mustapha K. Nabli.
Les difficultés rencontrées par le secteur bancaire (mauvaise qualité des actifs, faible rentabilité, sous-capitalisation, déficit de gouvernance, système d’information peu développé, défaillance de la supervision, …), et les défis de la transition démocratique (grandes réformes structurelles), justifient aussi l’intérêt d’une réflexion sur l’opportunité de dynamiser le marché obligataire. Comment le développement du marché obligataire peut contribuer à l’amélioration de la performance bancaire ?
Cette réflexion ambitionne d’être un outil de référence pour une analyse profonde et plus large de l’opportunité du développement du marché obligataire, pour une économie en développement comme la Tunisie. Elle présente un double objectif. D’une part, elle vise à montrer le caractère atypique du marché obligataire tunisien. Et d’autre part, elle cherche à identifier les dividendes du développement du compartiment secondaire du marché obligataire sur la performance bancaire.
Un marché obligataire défiguré
Si nous voulons résumer l’état du marché tunisien, nous pouvons qualifier le compartiment secondaire de ce marché de marché défiguré (Labidi, IACE 2013). Cette caractéristique, se manifeste à plusieurs niveaux :
- Au niveau de la valorisation du portefeuille : le portefeuille obligataire est régulièrement valorisé au prix historique. Du coup, on note l’absence d’une valorisation « mark-to-market ».
- Au niveau de sa localisation : 98 % du volume des transactions réalisées sur le marché secondaire des bons du Trésor se négocient de gré à gré. Autrement dit, seulement 2% des opérations se réalisent sur la Bourse
- Au niveau de la signature de l’émetteur : la prise en considération du risque de signature n’est pas systématique. Sur le marché obligataire tunisien, le rendement offert sur un titre risqué peut facilement être inférieur au rendement offert sur un actif sans risque. De ce fait, la courbe de rendement ne peut pas jouer son rôle classique de benchmark pour les intervenants sur le marché obligataire, lorsque le risque souverain dépasse le risque corporate.
- Au niveau de la différenciation des produits : une mauvaise évaluation du risque de subordination. L’emprunt obligataire subordonné se négocie parfois à un taux d’intérêt inférieur à celui d’un emprunt classique.
- Au niveau de la structure par terme : une concentration sur le compartiment long du marché non justifiée par une aversion au risque. Les banques privilégient les titres longs non pas selon une logique de risque, mais uniquement selon une logique commerciale, car l’opération de vente de produits adossés sur les bons du Trésor est plus juteuse sur les titres long terme que sur les titres courts.
Marché obligataire et performance bancaire
Depuis plusieurs années, l’état du secteur bancaire tunisien est au centre des préoccupations, aussi bien des autorités publiques que des institutions internationales.
Plus récemment, le « choc de la révolution » et son cortège de difficultés financières pour les entreprises, et la crise de la zone euro et ses implications sur les carnets de commandes en provenance de l’autre rive de la méditerranée, n’ont pas arrangé les choses du côté du passif des banques. Le tarissement des dépôts bancaires a justifié le recours croissant aux injections de liquidités de la BCT.
Quelle contribution du marché obligataire à la restructuration du secteur financier ? Le dynamisme du marché obligataire serait d’un grand intérêt pour accélérer l’assainissement du secteur bancaire. Les banques tunisiennes peuvent profiter à plusieurs niveaux.
Épauler le système bancaire dans le financement des entreprises
Jusqu’à aujourd’hui, les banques publiques contrôlent près de 40 % du marché bancaire. Le secteur semble être épuisé, certes par des décennies de mauvaise gouvernance, mais aussi par des décennies de quasi-monopole du financement d’une économie en développement.
L’absence d’un marché financier dynamique explique, en partie, l’épuisement du secteur. De ce fait, l’aménagement de ce marché, et surtout le compartiment obligataire de ce marché, est aujourd’hui plus qu’une urgence, pour épauler le secteur bancaire dans le financement de l’économie. Plus nous insérons les pratiques de bonne gouvernance dans la gestion des entreprises publiques, plus nous facilitons leurs accès au financement via le marché obligataire, et plus nous limitons la pression sur la liquidité exercée sur les banques (surtout celles qui sont sous la tutelle de l’Etat).
Multiplier les sources de refinancement pour les banques
Sur un autre registre le dynamisme du marché obligataire et surtout le développement du compartiment des titres souverains pourrait aider les établissements de crédits dans leurs opérations d’avances intraday accordées par la Banque centrale aux banques. Il faut souligner que lors de ces opérations les bons du Trésor sont les seuls éligibles au regard de l’autorité monétaire.
Moderniser la gestion du risque de taux
Le développement du marché obligataire repose sur la profondeur du compartiment de la dette de l’Etat, qui est indispensable pour former la fameuse courbe de rendement (yield curve), ou courbe de structure à terme de taux. Cette courbe se présente aujourd’hui comme un outil d’analyse et d’aide à la décision, indispensable pour moderniser la gestion du risque de taux dans les salles de marché des banques tunisiennes.
Outre son importance pour avertir le retournement du cycle économique, la courbe de rendement permet de développer une stratégie de gestion active du portefeuille obligataire, très prisée par les investisseurs longs (compagnies d’assurance et OPCVM). Une stratégie qui repose sur les changements observés dans la forme de la courbe des taux (aplatissement, pentification, Butterfly, ..), dans les caractéristiques spécifiques des obligations négociées, et à partir des écarts de taux entre deux ou plusieurs secteurs du marché.
La « courbe de taux dinar » permet ainsi la modernisation de la gestion du risque de taux, ce qui amène le secteur bancaire à offrir une nouvelle gamme de produits dérivés de taux (FRA, Swap, …), indispensables pour améliorer la performance des entreprises tunisiennes.