Tahar Refaï, retraité du ministère de l’Intérieur, ancien directeur général en charge des relations extérieures et de la coopération internationale, ancien élève de l’Ecole nationale de police de Saint Cyr au Mont d’Or, président de plusieurs délégations et commissions en relation avec la sécurité et la lutte contre le terrorisme, donne son point de vue sur la situation actuelle. Interview.
Pour mener la lutte contre le terrorisme, quelle stratégie pourrait-on adopter selon vous ?
Je pense que le travail qui est effectué au sein du ministère de l’Intérieur est un travail très important. Tout d’abord, il s’inscrit dans le cadre d’une vision et d’une stratégie, lesquelles reposent sur deux composantes : la composante fonctionnelle et structurelle. Il y a ce qu’on appelle la spécialisation du personnel de sécurité en charge de la lutte contre ce phénomène.
Qu’est-ce qui est le plus important dans cette stratégie ?
Il y a la conviction de l’intérêt à développer le travail du ministère de l’Intérieur pour assurer trois missions majeures, à savoir tout d’abord l’anticipation. On ne peut réaliser un travail efficace et performant sans remplir cette mission de l’anticipation, laquelle peut définir l’ampleur du phénomène et connaître ses composantes.
La seconde mission est le renseignement.
Enfin, il y a également la composante de la complémentarité, qui concerne tous les services de sécurité, garde nationale etc. Elle s’opère tous les jours par la police de proximité, à partir du poste de police, district…
On ne peut pas faire une bonne sécurité si l’organe de ces missions ne dispose pas du personnel nécessaire en nombre, en qualité, en formation spécialisée continue, qui existe en Tunisie. Lequel doit être imbu de civisme et d’un patriotisme inébranlable. Sachant qu’une grande majorité de ces personnels travaillent au delà des heures réglementaires.
Comment doit-on agir face à jeune suspecté de terrorisme ou qui est sur le point de commettre un acte terroriste ? Le profil d’un terroriste ?
Il y a un profil du terroriste que les services de sécurité connaissent bien en Tunisie. Environ 1200 potentiels terroristes sont de retour de l’étranger, dont une grande partie font l’objet de poursuites pénales et d’une surveillance continue, nous a informés le secrétaire d’Etat.
Sur le plan national, n’est-il pas trop tard pour combattre ce fléau ?
Je retiens une citation de Talleyrand : “ Quand c’est urgent, c’est déjà trop tard ”. En tant qu’ancien membre du ministère de l’Intérieur, je dirais : « Quand il y a une urgence, ce n’est pas trop tard ».
Aurait-il fallu anticiper ?
L’anticipation est toujours là, les services de sécurité tunisiens aussi et il y a la continuité de l’Etat, avant le 14 janvier et même après. Je me rappelle que dans les années 90 (1995), il y a eu une réunion des 4+3 des pays du pourtour méditerranéen, en prélude au 5+5, sur une initiative de la Tunisie- et pour être honnête une initiative conjointe avec la France- pour attirer l’attention sur l’ampleur de ce phénomène et réaliser une coopération effective.
Ce fut une première initiative lancée par la Tunisie dans la lutte contre le terrorisme. La Tunisie a été l’ instigatrice de l’inscription de ce point à l’ordre du jour de toutes les réunions importantes.
Il y a eu aussi une coopération de l’Union du Maghreb arabe dans la lutte contre le terrorisme, des réunions au niveau du Conseil des ministres de l’Intérieur arabes et la Tunisie avait déjà attiré l’attention depuis 1995 sur le fait que le combat contre ce fléau devrait être une priorité pour tous les Etats arabes.
Comment était la coopération à cette époque, tout le monde était-il d’accord sur la manière de lutter contre le terrorisme ?
L’Occident n’avait pas encore pris connaissance de la gravité et de l’ampleur du phénomène.
Est-ce après le 11 septembre 2001, que la prise de conscience a eu lieu ?
Effectivement une prise de conscience à l’échelle internationale. Ce qui a conduit l’ONU à mettre en place une commission contre le terrorisme et la direction exécutive antiterroriste sous l’égide du Secrétaire général des Nations Unies. Il ne faut pas non plus omettre qu’il y a eu un effort qui a précédé l’attentat du 11 septembre, dans l’arsenal juridique: 14 conventions onusiennes dont 13 ont été ébauchées dans les années 70.
Selon vous, quel est le déficit majeur dans le combat contre le terrorisme ?
L’absence d’une convention internationale de lutte contre le terrorisme qui part de la définition du mot “terrorisme”. C’est vrai que j’en parle en tant que juriste, il est difficile de définir le terrorisme, il y a eu un essai échoué depuis la Société des nations ( SDN) en 1934, qui n a pas évolué.
Le cas de la Tunisie ? À propos de la loi antiterroriste 2003 ?
La loi du 10 décembre 2003 a été modifiée en 2009 de manière à éviter et à se limiter à ce qu’on appelle cette définition pratique et fonctionnelle c’est-à-dire qu’on a défini le fait terrorisme et l’acte terroriste.
Si vous pouvez expliquer un peu plus ?
C’est-à-dire que dans les pays qui ne veulent procéder à une définition du terrorisme, mais au vrai sens pénal du terme, définir les faits matériels de l’infraction terroriste comme disaient les criminologues et pas le phénomène.
Il y a d’autres instance qui ont dépassé cela, qui ont le courage et l’audace, par exemple la convention arabe de lutte contre le terrorisme, qui a été signée conjointement par les ministres de l’Intérieur et les ministres de la Justice, la convention de l’Amérique Latine entre autres. Mais, il s’agit d’une grande discussion qui intéresse les praticiens, les faits criminels, l’acte terroriste en lui-même.
Concernant la loi antiterroriste ?
J’ai eu l’occasion d’entendre le président de la commission de l’ARP dire qu’ il aurait du changement c’est-à-dire que cette loi se fonderait sur des considérations objectives, qu’il y aurait à améliorer certainement, comme tout travail humain. Il y a essentiellement cet équilibre dont je parlais à instaurer entre la volonté de lutter contre le terrorisme et la volonté de préserver les droits de l’Homme une considération très importante.
Concernant les 157 associations suspectes de financement douteux qui pourraient avoir une relation avec le terrorisme ?
Je n’ai pas d’informations précises, mais j’ai lu l’information selon laquelle il y a un grand nombre d’associations qui auraient des problèmes s’agissant de leur financement et que ce financement a une relation avec le terrorisme ou pas, je pense que les prochains jours permettront à la présidence du gouvernement, la Banque centrale, d’en déduire ce qu’il y a lieu d’être.