La disparition de près de 800 migrants au large de l’île de Lampedusa, le 19 avril en Italie, atteste que la Méditerranée est désormais le « cimetière » de migrants. Prenons la juste mesure des tragédies désormais quotidiennes, ceux qui s’embarquent des pays du Sud, à la recherche du bonheur en Europe. Au-delà des statistiques, chaque mort est une tragédie. Elle doit nous appréhender. On peut ainsi parler des « damnés de la mer ».
La réunion des ministres des Affaires étrangères et de l’Intérieur au Luxembourg, le 20 avril et le sommet des chefs d’Etat et de gouvernement de Bruxelles, le 23 avril, devaient répondre à l’exigence de l’opinion publique et traduire des « états d’âme« . Au lieu de débattre de ces tragédies et d’identifier d’éventuels moyens de les prévenir, ils révélèrent comme objectif réel, l’unique souci d’arrêter le flux migratoire et de protéger « la forteresse » Europe. La liberté d’échange entre l’Union Européenne et les pays du Sud doit se limiter aux marchandises, aux services et point aux hommes. Ainsi se définit la règle du jeu des relations asymétriques, traduisant les rapports hégémoniques. A juste titre, François Dubost, le responsable d’Amnesty International, dénonce « une responsabilité par inaction de l’Union européenne ». Il affirma que l’objectif de l’opération européenne » Triton « , sous l’égide de l’agence Frontex, n’est pas le sauvetage, mais de « surveiller, faire de l’intelligence sur les routes migratoires en Méditerranée … (Mais) le seul maillon manquant est la volonté politique des États membres » de l’Union Européenne (http://www.rtl.fr, 19/04/201).
Les réponses à ces drames ont été, en effet, essentiellement répressives: l’introduction de la déclaration des chefs d’Etat exprime des vœux pieux. Les mesures essentielles annoncées concernent la lutte contre les trafiquants et la prévention des flux d’immigration illégale. Focalisation sur les aspects sécuritaires, les Etats européens vont renforcer le contrôle en Méditerranée. Point de solution envisagée à l’accueil des migrants et au traitement des causes économiques et sociales des tragédies. Diagnostic d’Yves Pascouau, directeur du programme » Migration and Diversity » (European policy- Centre-Bruxelles) : » L’absence de volonté politique commune et de solidarité illustre, en fin de compte, la distance froide ou pire, le cynisme des responsables politiques, vis-à-vis de la souffrance humaine » (« Non à l’égoïsme, face à l’exil », Le Monde, 28 avril 2015). La politique européenne « s’attache, en réalité, à taire la logique d’effacement de leurs propres responsabilités » (Héléne Grouzillat et Laeticia Tura, » Des rescapés qui n’accusent pas que les passeurs », Le Monde, 28 avril 2015). Comment « retrouver la connaissance de l’autre, face à l’existence du néo-nationalisme et de la tentation xénophobe, en Europe » (Benjamin Stora, « retrouvons la compassion, pour les damnés de la mer » Le Monde, 28 avril 2015.
Pour se déculpabiliser face à l’hécatombe migratoire, l’Europe dénonce volontiers le rôle des passeurs: il ne faut certes pas le démentir. Il y a bel et bien « des commerçants de morts » qui alimentent les filières d’immigration. Des réseaux de mafias africains et italiens exploitent ce processus, du départ du Sahel, de l’Afrique subsaharienne et du Maghreb vers la côte européenne. Il y a, d’ailleurs, une interférence évidente entre l’instabilité politique, le chômage généralisé, l’économie parallèle, la piraterie et le terrorisme.
Le problème est certes complexe. Il nécessite une mobilisation générale des acteurs européens, méditerranéens et africains. L’aire a besoin d’un développement de la croissance commune, confortée par un idéaltype de solidarité. La pauvreté et l’instabilité du Sud affecteraient, à plus ou moins longue échéance, l’Europe, dont le commerce dépend notamment du pouvoir d’achat de ses partenaires sud-méditerranéens. Les damnés de la mer sont originellement des damnés de la terre, qui se sont dirigés vers la Méditerranée. Ils appréhendent désormais l’aire européenne, faisant valoir l’amélioration de leurs conditions de vie, comme une exigence.