(Un dîner-débat a été organisé par la Commission de l’Ue à Tunis, en partenariat avec l’Economiste Maghrébin, à la veille de la 17ème édition du Forum international de l’Economiste Maghrébin. Ci-après le discours prononcé par Mme Laura Baeza, Ambassadrice de l’Union Européenne en Tunisie)…
Le sujet de l’Accord d’association entre la Tunisie et l’Union européenne m’intéresse particulièrement et qui se trouve au coeur de mes fonctions actuelles en tant qu’ambassadeur de l’Ue en Tunisie. Comme vous le savez bien, la Tunisie a été le premier pays du sud de la Méditerranée à signer un Accord d’association (AA) avec l’UE en juillet 1995, dans le cadre du processus de Barcelone et nous nous réjouissons de fêter dans 2 mois son vingtième anniversaire ! L’UE est de loin le premier partenaire commercial de la Tunisie, et ce, bien avant la signature de l’AA mais ce dernier a certainement aidé à renforcer nos relations commerciales.
L’AA, qui est entré en vigueur en 1998, comporte plusieurs objectifs dans divers domaines (économique, social, culturel et financier) et visait, principalement, la mise en place d’une zone de libre-échange, via la suppression progressive des droits de douane sur les biens industriels, permettant ainsi de créer une dynamique économique vertueuse entraînant une accélération du rythme de croissance des pays qui s’y engageaient. Bien que cet accord n’ait été ratifié et ne soit entré en vigueur formellement qu’en mars 1998, la Tunisie a démarré son application à partir de janvier 1996.
La suppression des droits de douane a concerné d’abord les biens industriels importés sans concurrents locaux – principalement biens d’équipements et biens intermédiaires – pour l’étendre progressivement aux biens de consommation finale, afin de donner aux entreprises tunisiennes le temps de s’adapter à la concurrence européenne.
Le calendrier de démantèlement a été asymétrique en faveur de la Tunisie puisque la suppression des droits de douane s’est faite progressivement sur une période de 12 ans, alors que les produits industriels tunisiens avaient un libre accès au marché européen dès la signature de l’accord, accès qui n’avait pas été que partiel et restreint jusqu’à ce moment en vertu de l’accord de coopération de 1976. La Tunisie a achevé en 2008 ce processus de démantèlement au cours duquel votre pays a réalisé des avancées remarquables aussi bien au niveau de sa croissance économique, qu’à celui de l’ensemble de ses agrégats macroéconomiques.
Ces réalisations sont, bien entendu, la résultante de toute une série de réformes structurelles touchant tous les secteurs de l’économie, mises en oeuvre depuis le milieu des années 1980, et non seulement les conséquences de la mise en place de la zone de libre-échange avec l’Union européenne. Mais, bien qu’il soit difficile d’isoler dans les évolutions des principaux agrégats macroéconomiques l’impact direct du démantèlement tarifaire de ce qui est généré par d’autres évolutions du contexte économique et politique, nous avons la certitude que l’AA a largement contribué au développement de l’économie tunisienne, en termes d’exportations, investissements et emplois. Les résultats de la ZLE sont déjà observables par nous tous et les craintes en termes de pertes de compétitivité des entreprises tunisiennes et baisse des recettes fiscales ont été dissipées!
En effet, une étude de l’économiste tunisien, le Professeur Mongi Boughzala, a montré que l’AA avait, dans l’ensemble, propulsé l’économie et engendré d’importants effets dynamiques bénéfiques, même si la libéralisation des échanges n’était pas complète. L’étude démontre que l’industrie tunisienne avait bien résisté à la concurrence européenne en continuant à croître et que les exportations de produits industriels avaient amplement contribué à la croissance des échanges.
D’ailleurs il a même conclu que si la Tunisie avait pu maintenir son industrie et ses exportations industrielles, c’est dans une certaine mesure grâce aux programmes de mise à niveau financé par l’UE visant à moderniser les entreprises et les préparer à faire face à la concurrence, et duquel ont bénéficié plus de 4000 entreprises tunisiennes. De leur côté, le volume des exportations tunisiennes vers l’UE a progressé fortement avec un taux de 178% entre 1995 et 2014 pour atteindre 9.3 milliards d’euros en 2014, contre 3.3 milliards d’€ en 1995 et avec un taux de croissance annuelle moyen de 6 %.
Il convient de noter que ce taux était encore plus élevé au cours de la période 1995-2010 (7.6%), mais il s’est décéléré avec la baisse de la production en 2011 et 2012, suite à la révolution. Ce bond n’est pas seulement quantitatif mais aussi qualitatif, puisque la composition même des exportations a changé et les produits du textile et de l’habillement, qui représentaient au cours des années 90 la part la plus importante des exportations de la Tunisie vers l’UE, ont cédé la place aujourd’hui aux produits mécaniques et électriques, qui sont plus sophistiqués, plus intensifs en valeur ajoutée et leur production fait appel à une main-d’oeuvre plus qualifiée. L’AA a aussi été accompagné par une réallocation progressive des facteurs de production en Tunisie avec une croissance des investissements dans le secteur industriel (selon une étude de l’AFD2), une hausse de l’indice de productivité ainsi qu’un accroissement de l’emploi de 60% entre 1998 (date d’entrée en vigueur de l’AA) et 2013 (derniers chiffres disponibles).
En ce qui concerne les finances publiques, la Tunisie a très bien réussi sa transition fiscale, puisque la baisse des recettes douanières, suite au processus de démantèlement tarifaire, a été compensée par la mise en place de taxes internes et de consommation. Le gouvernement a compensé à plus de 50% les pertes de recettes douanières en augmentant la TVA en 1998, en générant des recettes supplémentaires de la fiscalité directe grâce à la forte croissance économique pendant cette période, et en limitant la croissance des dépenses publiques.
Et donc les pertes en termes de recettes douanières n’ont pas mis en péril l’équilibre budgétaire du pays. L’Accord d’association a aussi eu des effets positifs sur l’investissement en Tunisie. Même si le volume des IDE européens en Tunisie a régressé au cours de ces trois dernières années, après une progression constante entre 2001 et 2008, pour les raisons que vous connaissez déjà (la crise en Europe d’un côté et la révolution en Tunisie de l’autre côté), pour atteindre 454.6 millions de dinars en 2013 ( contre 1,1 milliard de dinars en 2014 selon les donnée de la FIPA), l’UE reste la première source d’investissement étranger en Tunisie, avec près de 3000 entreprises, ce qui représente environ 90% du total des entreprises étrangères présentes dans le pays, générant environ 300 000 postes d’emploi. L’UE n’a pas cessé d’accompagner la Tunisie dans ses réformes structurelles et le développement de son économie, dans la modernisation de sa politique et de ses réglementations commerciales et dans l’amélioration de la compétitivité de ses entreprises pour faire face à la concurrence européenne.
Des programmes spécifiques appelés Programme d’Appui à l’Accord d’Association (P3A) ont été mis en oeuvre successivement en mettant à la disposition du gouvernement tunisien des « fonds opérationnels » à utiliser d’une façon flexible en vue de fournir de l’expertise publique, sous forme d’échange de fonctionnaires tunisiens et des Etats membres de l’UE et de jumelages entre leurs administrations.
Nos programmes de coopération ont touché de nombreux domaines tels que le l’enseignement supérieur, la formation professionnelle, l’emploi, l’agriculture, l’eau, le développement des régions les moins favorisées, l’énergie, la justice, la culture, l’appui à la société civile et aux médias. Ces programmes de coopération ont été financés au titre du programme MEDA de 1995 jusqu’à 2006 et de l’instrument européen de Voisinage et de Partenariat (IEVP) à partir de 2007 pour les dons, ainsi que dans le cadre du mandat de la BEI pour l’octroi des crédits. Ces instruments ont permis de financer des programmes de coopération en Tunisie pour un montant total de 1.864.000.000 euros en dons (financement de la CE) et de 4.958.191.000 euros en crédits (financements de la BEI) au cours de la période 1995-2014. Dans le cadre de la nouvelle approche de la Politique de Voisinage, l’UE et la Tunisie ont élaboré en 2014 un accord sur le partenariat privilégié, concrétisé par le nouveau Plan d’action, qui identifie les actions prioritaires à mener jusqu’en 2017, à tous les niveaux (politique, économique, scientifique, social, culturel et humain).
Compte tenu du contexte spécifique à la Tunisie au moment de la préparation des documents de programmation, les autorités tunisiennes et européennes ont convenu que la coopération bilatérale UE-Tunisie se ferait en deux étapes, la 1re étape couvrant 2014-2015, la seconde 2016-2020. Un cadre unique d’appui pour la Tunisie couvrant la période 2014-2015 a été adopté par la Commission européenne le 25 juillet 2014 fixant les trois domaines d’intervention dans lesquels la coopération se concentrera sur : le soutien aux réformes socioéconomiques; l’appui au développement plus équilibré et durable dans l’ensemble des régions; et le renforcement de l’État de droit et de la bonne gouvernance. L’allocation financière bilatérale indicative accordée à la Tunisie au titre de l’IEV pour cette période 2014-2015 est comprise dans une fourchette oscillant entre un minimum de 202 millions d’euros et un maximum de 246 millions d’euros.
Des crédits supplémentaires peuvent s’ajouter à ces montants, selon les progrès réalisés (approche « more for more ») constatés le cas échéant dans le rapport de suivi sur la politique de voisinage publié chaque année au mois de mars. En 2014, l’UE a renforcé son appui à la Tunisie en allouant 169 millions d’euros sous forme de dons au titre du programme annuel d’action (119 millions au titre du programme bilatéral et 50 millions d’euros au titre de l’approche incitative « more for more »). L’ampleur du soutien européen accordé en 2014 reflète les avancées remarquables accomplies par la Tunisie en matière de gouvernance démocratique, avec l’adoption d’une Constitution consensuelle et l’organisation d’élections législatives et présidentielle transparentes et pluralistes.
Dans un esprit poussé de partenariat, l’UE à travers la Haute représentante Federica Mogherini et le Commissaire en charge des relations avec les pays voisins, Johannes Hahn, a lancé, début mars, une ambitieuse consultation sur la révision de la politique européenne de voisinage de l’Union européenne, visant en particulier:
- mieux refléter la diversité des situations et des souhaits des partenaires
- mettre davantage l’accent sur les intérêts mutuels des Etats membres de l’UE et des partenaires du voisinage;
- utiliser avec plus de flexibilité les instruments politiques et financiers disponibles;
- assurer une meilleure appropriation de cette approche générale au sein de l’UE et par nos partenaires;
- développer une nouvelle approche à l’égard des « voisins des pays voisins ».
Cette consultation a déjà commencé par la tenue, le 13 avril, d’une réunion ministérielle informelle qui a réuni, à Barcelone, des ministres des Affaires Etrangères et des secrétaires d’Etat en provenance de toute la région, et qui ont pu discuter de nombreuses questions cruciales telles que la lutte contre le terrorisme et le renforcement de la sécurité, l’importance de la société civile, les migrations et la mobilité, les réfugiés, le renforcement du rôle des femmes, l’énergie, l’eau, la jeunesse, l’emploi, le commerce et le dialogue interculturel.
Mesdames, messieurs, comme vous le savez, l’AA n’était qu’une première étape d’un processus de libéralisation qui se veut plus ambitieux et nous souhaitons hisser maintenant nos relations commerciales à un niveau supérieur et pallier les insuffisances de cet accord qui s’est limité en effet à la seule libéralisation des produits industriels. A ce propos, nous avons proposé à la Tunisie de conclure un accord que nous appelons aujourd’hui Accord de Libre-échange Complet et Approfondi (ALECA), pour mieux refléter sa réalité en tant qu’instrument d’intégration dans le marché unique européen et qui ira donc au-delà de la simple libéralisation des échanges commerciaux et de suppression des droits de douane, pour privilégier une réduction des obstacles non-tarifaires, une libéralisation du commerce des services et des produits agricoles ainsi qu’une protection accrue des investissements, qui deviendront plus prévisibles et plus stables, grâce au rapprochement à l’acquis législatif et réglementaire de l’UE.
Nous avons reçu un signal positif du gouvernement tunisien et nous attendons leur calendrier pour lancer les négociations. De notre côté, nous sommes prêts à accompagner la Tunisie dans les prochaines négociations et appuyer avec nos instruments financiers la mise en oeuvre de l’accord une fois signé, comme nous l’avons déjà fait auparavant pour l’AA !