La réforme de l’enseignement est à l’ordre du jour. Le « printemps tunisien » l’exige. D’ailleurs les diagnostics de consensus relèvent la baisse du niveau général, la faiblesse de l’expression en arabe, en français et en anglais, l’occultation de l’esprit critique et de l’ouverture. D’ailleurs, les programmes scolaires actuels, sont décriés par les enseignants, qui les jugent encyclopédiques, infaisables dans leur intégralité dans le temps imparti, et conçus indépendamment les uns des autres dans les différentes matières. L’université s’en ressent. Elle enregistre l’inadéquation de la formation à l’emploi et le recul de la recherche. Ce qui freine le développement du pays. Les équipes appelées à réaliser cette réforme, désormais indispensable, doivent revoir la conception générale des enseignements dispensés aux élèves, identifier le contenu du socle commun de connaissances, de compétences et de culture. Ils doivent également appréhender l’introduction du numérique dans les méthodes pédagogiques et la construction des savoirs. Traduisant dans les faits l’idéaltype des réformes, les techniciens assureraient, dans le suivi des propositions essentielles, la cohérence des programmes scolaires, leur articulation en années et en cycles, ainsi que les modalités de validation de l’acquisition du socle de connaissances identifié.
Initiative novatrice, sinon pertinente, le ministère de l’Education nationale a effectué une consultation préalable des élèves, durant une heure de cours, le 15 mai 2015. C’est bien de savoir ce qu’ils en pensent. Mais n’aurait-il été préférable de procéder plutôt à une enquête, au lieu d’entreprendre une discussion, à la va vite, avec leurs enseignants. D’ailleurs les élèves interrogés ont évoqué l’entretien de leur école, l’emploi du temps, l’absence d’espaces culturels et le rejet du tableau noir et de la craie, dépassés partout ailleurs. On privilégie ainsi les références à l’infrastructure, aux visions des programmes.
On aurait peut être dû instituer un Conseil supérieur des programmes, formé d’universitaires, de chercheurs, de spécialistes du système éducatif et des représentants élus de la Nation. Il s’agit, en fait, d’engager une réforme globale et de définir le socle commun, couronné par des parcours différenciés. En premier lieu, le programme devrait assurer la maîtrise des langues, et peut être introduire, à cet effet, des activités quotidiennes de lecture et d’écriture et de production régulière de textes. En histoire, on devrait conforter l’étude des repères chronologiques, par l’enseignement des « Lumières » et le nécessaire rappel du mouvement des réformes, en Tunisie, depuis le XIXe siècle, qui ont remis en cause les anachronismes dénoncés par Ben Dhiaf, Khéreddine, Tahar Haddad, Abdelaziz Thaalbi et Habib Bourguiba. La géographie devrait privilégier l’ouverture sur le monde et transgresser l’ancrage euro-méditerranéen.
Module obligatoire, pour tous, la philosophie devrait retrouver son rôle, pour développer l’esprit critique, instituer le débat, faire valoir les vérités relatives et volontiers partisanes. Il faudrait donc restituer l’enseignement de la philosophie mondiale, l’étude des grands courants politiques et idéologiques et des grandes écoles de pensées, dans les classes terminales. Il faudrait, en effet, restaurer la vocation émancipatrice de l’École républicaine, pour prévenir le pays des dérives, des engagements dans la violence et « l’autoritarisme des absolus », remettant en cause le droit de l’autre. Bien entendu, on devrait assurer la mise à niveau des différentes disciplines scientifiques.
Intégrons notre vision, dans le contexte actuel de la révolution technologique : l’enseignant avait hier le monopole de la connaissance. Depuis internet, élèves et professeurs ont le même accès au savoir. Mais le traitement de l’information-flux et massive n’est pas aisée. L’autorité de l’enseignant devrait reposer sur « la gravitas », concept d’Enrico Letta, qui « consiste à associer maîtrise du savoir et capacité à l’interpréter ». Dans ce même ordre d’idée, l’expert italien estime qu’il « faut former les étudiants à la gestion des crises » (titre de l’article, entretien d’Enrico Letta, Le Monde, 7 mai 2015).
La réforme postindépendance de l’enseignement, assurait l’égalité pour tous et érigeait l’école en « ascenseur social ». Elle perdit hélas ce privilège. D’autre part son ouverture a été compromise, par les velléités passéistes du discours de l’authenticité, puis par l’investissement d’un discours aculturel. Le contexte actuel exige un retour aux normes et une prise en compte des nouveaux défis. Le passage aux actes devient urgent. « Véritable démarche, déclarait un ancien ministre français de l’Education, ce n’est pas le minimum pour tous, c’est le maximum, l’excellence proposée à tous » (François Bayrou, « l’école doit viser l’élitisme pour tous », Le Monde, 2-3 mai 2015). Il faudrait peut être méditer cette adaptation, à l’évolution des enjeux.