Myriam Boujbel, jeune députée (37 ans) du bloc parlementaire de Nidaa Tounes, expose ses opinions sur l’actualité politique, l’avenir de Nidaa Tounes, sa vision pour une nouvelle Tunisie et pour la transparence et la bonne gouvernance.
leconomistemaghrebin.com : Vos déclarations ont souvent fait polémique. Ne pensez-vous pas que c’est trop pour une jeune députée ?
Myriam Boujbel : Ce n’est pas parce qu’on est député ou qu’on fait partie d’un parti politique qu’on doit perdre sa liberté d’expression. Loin de moi de chercher à provoquer un quelconque buzz en écrivant un statut, c’est plutôt un exercice démocratique et parfois un cri du cœur. Bien sûr on ne peut pas plaire à tout le monde et certains, même de son propre camp, guettent chaque expression prête à interprétation pour l’utiliser contre vous. Parfois cela provoque des critiques acerbes, mais n’est-ce pas cela la démocratie. Cependant, je tiens à conserver ma liberté de pensée et je suis même reconnaissante à ceux qui ne cherchent pas à vous caresser dans le sens du poil, à condition que leurs réactions soient sincères et constructives.
En gardant un certain recul par rapport à la scène politique, on s’assure une certaine objectivité. Je me suis promis en me lançant dans la politique active de ne pas dévier de mes valeurs et de mes principes. Ces déclarations sont celles d’une citoyenne avant d’être celles d’une députée. Devant le niveau d’exigence face au député, porter tous les jours cette casquette politique est un lourd fardeau.
Mais porter cette casquette signifie défendre votre parti politique …
Tout à fait, j’ai fait preuve de discipline lors des votes des projets de lois. Mais parce que le parti a honoré ses principes et ses engagements électoraux. Notre leitmotiv a toujours été « la patrie avant le parti » et tant que l’on est en cohérence avec cette vision des choses, il n’y a aucune raison de dévier de la ligne tout en restant critique. Dans l’hypothèse contraire j’essaierai, bien entendu, de convaincre mon groupe parlementaire et si je n’y arrive pas, je voterai en mon âme et conscience.
En lisant votre fiche sur le site de l’ARP, nous nous sommes rendus compte que vous avez abandonné votre poste managérial pour vous consacrer à la députation. Est-ce que vous pensez que c’est un atout ou un handicap pour votre carrière ?
J’ai démissionné de mon poste pour me consacrer pleinement à ma nouvelle mission de députée. Cela dit, je ne vois pas comment avec tout le volume de travail à l’ARP et dans ma région, en plus de mon engagement dans le bureau politique de Nidaa Tounes, j’aurais pu faire autrement. Sans vouloir donner de leçon, être député n’est pas compatible avec l’exercice d’une profession en parallèle, si on s’engage à être au service des électeurs qui vous ont fait confiance et qui ont des attentes substantielles.
Aujourd’hui, je vis pleinement cette expérience sans aucun regret. A la fin de mon mandat, je serai au service de mon pays d’une manière ou d’une autre.
Comme tous les Tunisiens vous avez suivi les débats au sein de l’Assemblée nationale constituante. Est-ce que vous avez essayé d’éviter quelques déclarations ou certains blocs parlementaires ?
D’un côté, il ne faut pas généraliser et il faut reconnaître les efforts déployés par de nombreux députés de la constituante. D’un autre un côté, il faut reconnaître que les dérapages sous l’hémicycle du Bardo du temps de l’ANC ont beaucoup nuit à l’image du député dans la conscience collective. Dérapages qui ont été surexploités par les médias pour créer le buzz à chaque fois.
Les Tunisiens ne veulent plus de ces dysfonctionnements. Ils prétendent à une classe politique plus responsable. Les députés doivent jouer un rôle essentiel en montrant le bon exemple en termes de valeur de travail, civisme, ponctualité et responsabilité. Et à dire vrai, nous pouvons mieux faire.
Lors de votre campagne électorale vous avez promis de renforcer la bonne gouvernance et d’instaurer les bases de la transparence ?
C’est mon cheval de bataille et j’y tiens énormément. Ma contribution personnelle consiste à donner accès à l’information, en diffusant les documents sans caractère confidentiel sur le net. J’ai décidé de mettre en ligne un site web qui contient tous les documents auxquels j’ai accès au niveau régional et national, pour plus de transparence.
La constitution prévoit la garantie à l’accès à l’information. La transparence est un état d’esprit et c’est la non transparence qui doit être l’exception ! Beaucoup de travail reste à faire pour l’instauration de la transparence en Tunisie. C’est un processus sur lequel on doit travailler avec acharnement et dans lequel le citoyen doit jour un rôle actif pour exiger et exploiter les informations à sa disposition.
Je peux témoigner des réticences culturelles face à la transparence par exemple dans le traitement avec les ONG chez certains parlementaires qui n’ont pas encore intégré le concept de la transparence, ou l’aversion par rapport à la diffusion de taux d’absentéisme, quand on s’apprêtait à voter l’article relatif à l’assiduité des députés. C’est un combat de l’intérieur vers l’extérieur, dans lequel il faut avoir beaucoup de souffle. Et il faut compter sur les personnes qui essayent de faire le nivellement par le haut toutes couleurs politiques confondues.
Que recommandez-vous pour la mise en place de la transparence et la bonne gouvernance, notamment dans l’administration ?
Alors que dans plusieurs pays le déploiement de l’open governance est bien avancé, vous aurez tout le mal du monde chez nous à demander l’adresse mail d’un responsable dans une administration et ne parlons même pas des données gouvernementales ! Il n’y a qu’à visiter les sites webs qui ne sont très souvent pas à jour.
D’abord, il faut commencer au niveau régional par les municipalités. Plusieurs ONG travaillent sur cet axe. Qu’on mette tous les budgets par municipalité et toutes les données sur un site accessible au public, c’est la première chose à faire. Ensuite, il faut appliquer le principe de la transparence aux formalités administratives, aux marchés publics, à l’organisation des administrations. C’est un véritable chantier qui pourra absorber de nombreux demandeurs d’emploi.
Concernant votre parti Nidaa Tounes. Est-ce que vous pensez que la machine s’est arrêtée ? Que pensez-vous de la nomination de Mohsen Marzouk comme secrétaire général du parti politique et les déclarations de Nabil Karoui ?
L’entrée au palais de Carthage, au gouvernement et au parlement de la quasi totalité de l’équipe dirigeante a créé un vide qui a donné de l’appétit à certains et a eu un effet destructif sur Nidaa Tounes. La décision courageuse de confier dorénavant la gestion des affaires du parti à une équipe dédiée est une solution pragmatique et indispensable. M. Taïeb Baccouche qui a beaucoup donné à ce parti, dirige un ministère sensible. Je respecte sa décision de se dédier aux destinés des Affaires étrangères.
Avec la nomination d’un nouveau SG reconnu pour son dynamisme et un sens aigu de la communication, c’est une occasion en or pour Nidaa Tounes pour redéfinir sa feuille de route et asseoir définitivement les pratiques démocratiques et participatives dans son fonctionnement.
Je trouve qu’exploiter son propre média, en l’occurrence la chaîne de M. Karoui, pour faire de la propagande politique est non seulement contraire à l’éthique, mais n’offre pas la meilleure image de nos médias. Je vais en rester là.
Que pensez-vous de l’arrêt de la production du phosphate et des mouvements sociaux ?
Le phosphate est la boîte de Pandore pour le bassin minier : tribalisme, corruption, pollution, mouvements sociaux, emplois fictifs et j’en passe; mais sans le phosphate il n’y a point de développement dans la région. Alors la machine doit tourner de nouveau pour le bien de l’Etat, mais également pour le bien de la région et de ses habitants.
L’historique chargé entre une population qui a souffert par le passé et un Etat défaillant a généré une rupture de confiance qui est aujourd’hui exploitée par des partis qui n’ont pas le sens de la responsabilité et qui n’ont pas digéré les résultats des dernières élections, ou dont les intérêts personnels résident dans la continuité du statut quo. Aujourd’hui la fuite en avant doit trouver une fin. Les sages de la région doivent être impliqués et une stratégie à moyen terme doit être définie et déployée pour reconquérir les marchés perdus et regagner la confiance des clients qui se sont tournés vers d’autres cieux.
Avez-vous un message à adresser aux jeunes ?
Je leur demande d’être citoyen, d’être proactifs et qu’ils participent activement à la vie associative et politique et s’impliquent ainsi à la construction d’une meilleure Tunisie, chaque jour un peu plus. J’ai beaucoup d’admiration pour certains jeunes de la société civile.
Il ne suffit pas d’être jeune, il faut avoir son propre avis. Les jeunes doivent créer un nouveau modèle. Pourquoi avoir des jeunes si on va reproduire les mêmes schémas des moins jeunes ? Je leur demande aussi de faire preuve de solidarité entre eux et d’apprendre à travailler en équipe car l’unité fait la force.
Certains reprochent à la classe politique le fait qu’elle a vieilli et l’absence des jeunes des bureaux politiques des partis ?
La classe politique doit être à l’image de la société : un mix de jeunes et moins jeunes. Il est donc primordial de booster la présence des jeunes par une politique et une réglementation ciblées à condition de les doter des aptitudes nécessaires. Les partis politiques doivent ainsi encadrer et former leurs jeunes pour qu’ils soient prêts à occuper des postes en front-office.
Par ailleurs, être jeune n’est pas suffisant pour accéder à une responsabilité politique car un minimum de parcours et de compétences s’impose. La dégradation de notre système éducatif est une entrave à l’accès des jeunes aux postes de responsabilité. Créer un bloc parlementaire pour les jeunes serait une bonne idée, d’ailleurs une commission travaille sur ce sujet. On a aussi besoin de gens moins jeunes qui ont de l’expérience. Encore faut-t-il que ces moins jeunes sachent céder la place aux jeunes qui seront prêts à prendre la relève.
Que pensez-vous de l’amendement de la loi 52, surtout que Béji Caïd Essebsi a promis de l’amender à l’époque ?
Je suis pour son amendement, de ne plus réprimer une première consommation. Cette loi devrait se concentrer principalement sur les trafiquants et les réseaux mafieux qui encouragent la consommation de cannabis. La tolérance zéro est exigée envers ces derniers. En parallèle, je pense que les associations d’aide aux toxicomanes ont un rôle important à jouer et devraient être davantage soutenues.
Maintenant est-ce qu’il fait partie des priorités de l’ARP ou non? Sincèrement, je ne le crois pas.
Quelles sont les priorités de l’ARP pour les jours à venir ?
Nous avons commencé depuis quelques jours au sein de la Commission des Finances l’examen du projet de loi relatif au partenariat public-privé. C’est un important projet qui n’est pas sans faire couler beaucoup d’encre. Nous allons examiner et revoir le contenu de ce projet, de manière concertée avec les parties prenantes, et en fonction des types de projets bien définis, afin de permettre la réalisation effective de projets PPP concrets dont la Tunisie a besoin.
Nous avons un besoin incessant en développement de nos infrastructures et de nos services publics, nécessaires pour stimuler la croissance économique. Le PPP est un outil, parmi d’autres, pour compléter les capacités financières limitées de l’Etat.
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Meriem Boujbel est députée du Mouvement Nidaa Tounes, Nabeul 2 élus avec 60247 voix, 2ème sur la liste. Elle est membre de:
- Commission de la réforme administrative, de la bonne gouvernance, de la lutte contre la corruption et du contrôle de gestion des deniers publics
- Commission des finances, de la planification et du développement
Parcours scolaire
- Baccalauréat en mathématiques au lycée de jeunes filles de Nabeul (1997)
- Baccalauréat en Administration des Affaires avec une option en Finances de HEC Montréal (2003)
Parcours professionnel
- Responsable Audit Interne chez SERGAZ – ENI Groupe (Janvier 2005 – Juin 2010)
- Risk & International Control Manager chez Siemens Tunisie (Juillet 2010 – Septembre 2014)
- Elle a démissionné de son ancien poste depuis son élection aux législatives 2014 pour se dédier complètement à son mandat de Députée
Parcours politique
- Membre du bureau du Groupe parlementaire du mouvement Nidaa Tounes
- Membre du bureau politique du mouvement Nidaa Tounes