« Le printemps arabe représente un réveil initial qui va féconder le futur, mais je ne sais pas comment » (Edgar Morin « L’idée de métamorphose dit qu’au fond tout doit changer », entretien l’Humanité, 19 Juillet, 2013). Une méditation de ce diagnostic d’Edgar Morin fait valoir le rôle pionnier de la culture, dans le contexte de la révolution » tunisienne et du changement global, qu’elle devrait mettre à l’ordre du jour. Dans sa définition du « printemps arabe », Edgar Morin préfère parler non de révolution, mais de « métamorphose ». Il estime, en effet, qu’il ne faut pas accréditer l’idée que « du passé faisons table rase », qu’implique la révolution, alors que l’idée de métamorphose porte à la fois la rupture et la continuité. Tous les acquis de la pensée passée devraient ainsi s’intégrer dans la formulation des visions d’avenir, de la nécessaire ouverture de l’horizon.
Patrimoine, spécificité, et échange avec le monde, représentent les composantes et les valeurs de la culture tunisienne, qu’il faut dynamiser.
Les Anglais tiennent à Shakespeare, les Allemands à Goethe, les Espagnols à Cervantès, les Portugais à Camoens, les Italiens à Dante, les Russes à Tolstoï, les Français à Voltaire. Nous devons affirmer, parmi l’accumulation de nos acquis, de l’antiquité à nos jours, notre attachement à Ibn Khaldoun, Khereddine, Tahar Haddad, Aboulkacem Chabbi et bien entendu, dans l’histoire immédiate Habib Bourguiba et sa modernité.
La conscience de la continuité historique devrait faire valoir les piliers de l’esprit national tunisien, sa quête d’enracinement, sa singularité, sa modernité et son ouverture. D’autre part, il est nécessaire » d’articuler la culture contemporaine, à partir de toutes ses composantes: les arts, la pensée, les sciences sociales et les sciences ». Nous partageons les vues de Jolio Caraca, directeur de l’Institut de recherche de la Fondation Gulbenkian, qui estime que » La science doit devenir un élément de la culture »(Eude sur la Fondation Gulbenkian, Le Monde, 5 mai 2015). Il développe l’intelligence critique. Il faut penser pour pouvoir agir, créer des cadres mentaux, pour assurer à la société tunisienne, les conditions adéquates, pour faire face aux défis et préparer la Tunisie de demain.
La question est plus aisée à formuler qu’à mettre en application. La politique culturelle est nécessairement en relation, en phase avec le régime politique. Or, ni les intérêts économiques ni les valeurs des composantes de l’alliance gouvernementale ne sont convergents. Le consensus établit plutôt une coexistence de discours difficilement conciliables. La bipolarité désormais, instituée de fait, fut-elle atténuée par le relooking des deux grands partis Nidaa Tounes et Ennahdha rend difficile l’adoption d’uns stratégie culturelle commune.
On l’a constaté récemment, lors du traitement différentiel du problème du discours religieux dans les khotbas, dans les mosquées. Ce qui rappelle une certaine tolérance, sinon un appui aux dérives des débuts de l’ère de la troïka et des attaques des manifestations culturelles (musique, théâtre, cinéma, art), qui ont marqué l’actualité, jusqu’à l’avènement du dialogue national. Dans ces conditions, l’accord gouvernemental ne peut concerner que le développement de l’infrastructure, telle la dynamisation de la Cité de la Culture, la réhabilitation des structures d’accueil : maisons de jeunes et/ou de cultures et la révision des mécanismes de gestion. Mais point l’action elle-même, dépendant des visions et des objectifs.
Fait d’évidence, il y a, d’autre part, une « déculturation » d’une certaine élite politique, un désintérêt pour le livre et les arts, en dépit de leur usage de nouveaux supports. Comment susciter alors l’adhésion des jeunes, des élites et de l’ensemble de la population ? Comment réussir l’investissement culturel ? La nouvelle donne exige une inflexion notable de la politique culturelle, une remise à niveau des différents secteurs de production, d’innovation et de création. De concert avec la société civile, le ministère de la Culture devrait identifier des choix, effectuer des arbitrages, revoir l’articulation passé/présent. Il a, en effet, pour rôle d’instituer le débat. Devoir essentiel et urgent, il faudrait œuvrer, dans les différents secteurs de la culture: lettres, théâtre, cinéma, beaux arts, productions numériques diverses, pour la promotion des auteurs. Peut-on gagner cette gageure ?