Rencontré lors de la conférence qui s’est tenue au centre de la Ligue Arabe de Tunis, Mohamed Hédi Khélil, ancien ministre de l’Education et ancien premier vice-président de la Chambre des Députés. livre dans cette interwiew son point de vue sur le Printemps arabe.
-L’Union maghrébine où se situe-t-elle aujourd’hui ?
Le sujet central c’est la relation euro-maghreb, Maghreb-Afrique, j’ai l’impression que parler de l’Union du Maghreb c’est comme si on parlait d’une maladie de longue durée. Depuis 1988, qu’a-t-on a réalisé comme union maghrébine? rien! Nous avons entamé des discussions avec l’Union européenne de façon individuelle, nous n’étions pas unis à cette époque; chacun dialoguait pour ses intérêts alors qu’on aurait dû engager les discussions avec l’UE en tant unité maghrébine.
-Pourtant à un moment donné l’Union maghrébine existait bel et bien avec le conseil des ministres ?
Bien avant de penser à l’unité politique, on aurait dû penser à l’unité commerciale. Comment l’Union européenne a-t-elle démarré ? Elle a démarré par la Cour de l’Europe, la loi sur la Communauté européenne , c’était un marché commun pour les matières premières qui a évolué petit à petit pour devenir une vraie union européenne. Nous qu’ avons-nous fait ? Nous avons fait l’inverse : nous avons commencé par l’unité politique, en délaissant le sujet central, le pilier central, à savoir l’économie, la culture et le social.
-En parlant de l’unité politique, il y avait aussi l’union interparlementaire ?
Nous avions fait une expérience au niveau de l’union interparlementaire qui a démarré en 1991 et qui a regroupé tous les parlements du monde. Nous avons engagé une conférence régionale euro-méditerranéenne, que nous avons appelée la CSM (la Conférence sur la sécurité et la coopération méditerranéenne). Au départ, on avait des difficultés à réunir tous les représentants des 17 pays méditerranéens, mais ils se sont réunis autour d’une même table pour la première fois et c’était à Madrid en 1992.
Ensuite lors de la deuxième conférence, nous avons été aidés par le processus Palestine-Israël pour les accords d’Oslo. A partir de ce moment là, le travail de coordination était engagée sur la bonne voie. J’avais réussi, en tant que président de coordination et rapporteur général, à réunir côte à côte les représentants des pays arabes et ceux d’Israël. Ils ont commencé à dialoguer, ce qui a abouti à l’organisation d’une conférence euro- méditerranéenne à Malte en novembre 1995, avant la réunion de Barcelone. Quelque temps après, le processus du dialogue a pris fin, bloquant les travaux de cette commission.
-Qui avait-il intérêt à faire échouer cette union ?
Celui qui a sauté sur l’occasion, l’ancien président français Sarkozy qui s’est approprié le processus pour gérer des idées, et créer l’Union pour la Méditerranée et non l’Union euro-méditerranéenne. Ce qui a fait tout capoter. Qui a détruit la Syrie? Vous voyez le résultat.
-Actuellement, 20 ans après, comment voyez-vous la classe politique dans le cas de la Tunisie ?
Je pense qu’aujourd’hui les pouvoirs ont changé de position. Il y a un équilibre entre l’exécutif et le législatif en Tunisie. Nous avons un régime modéré qui prend en compte le pouvoir législatif, un équilibre établi entre les 3 pouvoirs. Ce qui reste maintenant à engager c’est le processus de la construction de l’Union maghrébine. Si on arrive à réanimer ce malade, à le faire sortir de la salle d’opération, on arrivera peut-être à créer une unité maghrébine basée sur les intérêts communs, concentrés sur l’économie et la culture.
-Peut-on parler du printemps arabe ou d’un printemps tunisien quatre ans après ?
-Il y a eu un réveil tunisien qui a permis de changer le pouvoir. En Libye aussi il y a eu ce même réflexe, malheureusement les intérêts extérieurs sont entrés en jeu et ont détruit cet espoir.
-Dans quel but ?
Les pays qui ont bombardé la Libye ne l’ont fait que pour des intérêts économiques tout simplement. Kadhafi aurait pu être dégagé du pouvoir sans détruire le pays. Que reste-t-il finalement? Il faut que les libyens comprennent que leur intérêt réside dans la sauvegarde de leur unité et qu’ils doivent s’entendre entre eux car les pays étrangers ne peuvent rien faire pour eux.
-Et l’immigration clandestine, quel est votre avis à ce sujet ?
On est en train de vivre un cloisonnement total entre la rive nord et la rive sud. Ce qui intéresse les Européens ce ne sont que les intérêts économiques. La preuve, ils viennent chez nous sans visa. Quant à nous, pour avoir un visa il nous faut courir. Ils veulent investir chez nous, mais nous ne pouvons pas investir chez eux.
-Un sujet d’actualité, la fusillade de la Caserne de Bouchoucha, qu’en pensez-vous ?
Je crois que c’est un fait divers, cela se passe dans tous les pays.
– Comment voyez-vous la participation des jeunes dans le processus de transition démocratique?
La participation des jeunes a été bénéfique à faire réussir le changement tunisien, et surtout aussi grâce à la femme tunisienne. Si on a réussi à faire adopter une Constitution telle que la nôtre, c’est grâce à la femme tunisienne, grâce à la fille de Bourguiba. Il faudrait qu’il y ait une union commune entre les générations jeunes et vieux.
– Comment expliquez-vous ce fossé qui sépare la classe politique et les jeunes ?
C’est un fait qu’il ne faut pas nier. Je dis que les partis politiques doivent être conscients de cette lacune, il faut qu’il y ait une jeunesse qui soit associée à la vie politique, un véritable porteur d’idées sinon on aura toujours une coupure entre les générations.
– A ce propos, quel est votre sentiment su la faible participation des jeunes lors des élections ?
Il y avait une coupure dès le départ, parce que ceux qui dirigent ne veulent pas céder leur place. Il faut donner l’exemple aux jeunes, cela n’empêche pas qu’il y a un travail à faire des deux côtés car la sagesse est nécessaire…
-Quelle est votre devise dans la vie ?
Voir évoluer le pays et voir des jeunes tenir les rênes du pouvoir et voir en même temps réaliser l’union maghrébine.
-Quel serait votre message ?
La paix d’un côté, la tolérance de l’ autre.