« Prier ou ne pas prier », « Être à l’intérieur ou à l’extérieur de la mosquée » : tel semble le dilemme qui divise à tort les musulmans entre bons et mauvais croyants. L’époque contemporaine s’engouffre plus que jamais dans cette dichotomie aux relents de haine et aux conséquences parfois tragiques entre ceux qui veulent imposer leur vision de la religion et ceux qui rejettent toute forme de croyance obligatoire ; entre ceux qui ont la foi, tout simplement, et ceux qui s’en servent comme une idéologie ; entre ceux qui conçoivent la croyance comme un rituel et ceux qui la définissent comme une spiritualité avant tout. L’exposition «Le Monde entier est une Mosquée » interroge la possible échappée de l’espace sacralisé, et de la probable sacralisation de l’espace séculier.
La mosquée serait alors partout, et la foi une affaire de cœur avant d’être une affaire de clôture. Qu’on ne se méprenne pas sur le titre. « Le Monde entier est une Mosquée » qui se tiendra samedi 30 mai à 18h00 au parking de Carthage dans le cadre de la 3ème édition de Jaou-Tunis 2015 n’est pas une tentative d’annexer la terre entière à un rite ou à un lieu musulman. Ce n’est pas non plus faire œuvre de prosélytisme. C’est faire du monde un seul lieu de prière voué au Dieu de tous ! C ‘est une façon de sortir des espaces étroits pour un espace à ciel ouvert dédié à la spiritualité.
Une façon de désacraliser les lieux fermés pour en faire des lieux ouverts, de vie, de rencontre, de diversité. Si le monde était une mosquée, il ne s’y passerait pas ce qui se passe aujourd’hui. Il n’y aurait pas tant de haine, de guerres et de conflits. Car la mosquée est un lieu de paix et de méditation, d’abord. Elle rétablit le lien social en ce qu’il a de plus solide et de plus communiant. Elle laisse place à la voix de Dieu qui ne peut être qu’une voix d’amour pour les Hommes. Si le monde était une mosquée, on y entendrait des prières qui seraient avant tout une consécration de l’humain.
L’on y verrait affluer ceux qui ont à cœur l’amour de leur prochain. Ceux qui ont assez de bonté pour soutenir le faible et le malheureux, assez de tolérance pour accepter celui qui croit ou ne croit pas, celui qui est des leurs ou d’ailleurs. C’est aussi, au-delà de l’espace physique du culte, une manière de faire de l’homme de foi un recours pour tous les hommes. Une façon de casser les murs et les espaces étroits pour les transformer en un espace à ciel ouvert dédié à la spiritualité. Une façon de désacraliser les lieux fermés pour en faire des lieux ouverts, de vie, de rencontre, de diversité. L’Islam n’a pas de clergé. Ni de médiateurs. Et l’on peut partout, y compris hors de la mosquée, établir un lien avec le divin. L’on peut prier sur le sable ou sur la pierre, dans une riche demeure ou sur une natte jetée par terre. N’importe quel endroit de la terre peut être une mosquée et la prière est partout où se trouve le visage de Dieu.
Dire cela, c’est affirmer et retrouver la grandeur et la tolérance de l’islam, son côté « séculier», qui fait du musulman un être libre et responsable ; qui fait de la religion une affaire entre Allah et sa créature. C’est redonner des valeurs que cette religion porte en elle-même : liberté de croyance, liberté de mouvement, liberté de la relation avec Dieu. Tel est le pari « philosophique » de l’exposition « Le Monde entier est une Mosquée » : une exposition conçue comme une installation sous forme de 22 conteneurs qui, assemblés pièce par pièce, constituent un espace artistique doublé d’un lieu de culte. En s’implantant au cœur de Carthage, entre les vestiges archéologiques de l’Empire romain et à deux pas du théâtre antique, cette installation se situe sciemment entre hier et aujourd’hui, entre l’Histoire et l’époque contemporaine. Tout en restant ancrée dans « le passé » de nos racines carthaginoises, elle ouvre sur un « futur » des consciences, sensible aux libertés individuelles et soucieux d’un équilibre entre la confiance en l’homme et la foi en Dieu. Le contraste entre le matériau métallique et la pierre antique, entre la construction industrielle et les vestiges des temps anciens, est bel et bien voulu lui aussi. Tout autant que la scénographie qui emprunte davantage au décor de théâtre populaire qu’à la solennité traditionnelle de l’espace sacré.
Enfin, l’omniprésence et l’impersonnalité du conteneur physique rappellent, tout en contraste, l’absence de ce qui est pourtant essentiel, en l’occurrence, à savoir la foi dans ce qu’elle a de plus immatériel et de plus personnel. Recourant à des produits kitsch, surface lumineuse, textures variées et autres installations interactives, « Le Monde entier est une Mosquée » engage le regard et l’œuvre de 22 artistes originaires d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient. Tous sont amenés à faire appel aux cinq sens comme l’islam fait appel à cinq piliers. À travers leurs prestations, ils sont censés inviter à un voyage qui a tout d’une quête et dont le but n’est pas tant de se demander « où » nous prions, mais, plus important, « pourquoi » nous prions ?! C’est dire si la conception comme la scénographie de l’exposition obéissent à l’idée du pèlerinage, chaque chemin pris étant un moyen de se « connecter » aux autres, chaque étape une façon de rechercher le spirituel en nous. A l’image de cette quête itinérante de l’essentiel, l’exposition suivra, elle aussi, son propre « pèlerinage », étant appelée à partir et à ressusciter sous d’autres cieux et dans différentes villes du monde.