À côté de la prolifération des grèves sauvages, la grogne sociale gagne en ampleur et les revendications se multiplient, exploitées, dit-on, par des agendas occultes. Visiblement, la Tunisie sombre de jour en jour dans une crise économique et politique majeure. Le pays est désormais semblable à un tonneau de poudres prêt à exploser. Il ne manque que l’étincelle et personne ne semble s’en soucier des conséquences.
Une économie d’apparence fébrile, des menaces réelles planent sur le tissu social et tous les indicateurs sont au rouge selon l’Institut national des statistiques qui a annoncé une croissance de l’ordre de 1,7 % au cours du premier trimestre de 2015, en deçà des prévisions officielles tablant sur 3% en 2015.
Aujourd’hui, on voit mal se dessiner les contours d’une solution à un soulagement possible, même à court terme. Et pour cause. Depuis quelques jours la frénésie s’est emparée de l’opinion publique à propos de la question du pétrole. Une frénésie récupérée par certaines parties pour faire croire aux Tunisiens que le pays nagerait sur une marée de pétrole et, en même-temps, exploité par d’autres parties pour la tourner en dérision pour la discréditer.
À l’origine de cette frénésie, une campagne à grande échelle lancée par le parti du Courant Démocrate – Attayar, dont la revendication principale est de transpercer l’opacité qui entoure la question de la gestion des richesses naturelles de la Tunisie et des hydrocarbures et le droit des citoyens de bénéficier des richesses du pays sous le slogan « Ouvre le dossier ou 7el eddoussi».
Un membre du bureau exécutif du parti démocratique Attayar, Iheb Ghariani, s’est expliqué sur les ondes de la Radio nationale rappelant que : «en 1995 les réserves pétrolières confirmées en Tunisie étaient de l’ordre de 1 850 000 000 de barils. Puis une chute drastique .À cette chute on n’a trouvé aucune explication plausible et rationnelle», ajoutant que « la question a été posée à des techniciens, à des experts, à des officiels mais elles sont restées sans réponse. Déjà dès le départ, il y avait une baleine sous le cachalot», s’est-il étonné.
À la question de savoir pourquoi cette campagne et pourquoi maintenant, Ghariani a répondu : « Parce que l’intérêt que porte le Tunisien aux affaires publiques est devenu possible et à juste titre depuis l’avènement de la révolution, cet intérêt a permis la participation du citoyen au débat fondamental sur la meilleure façon de développer le pays« .
Maintenant, pourquoi les hydrocarbures précisément ? dit-il. « D’abord la Tunisie est un pays dont l’économie n’est pas forte et puis le fardeau de la compensation étatique dans les produits de première nécessité parmi lesquels les hydrocarbures, est très important, donc il est légitime de demander l’ouverture de ces dossiers », a-t-il préconisé. La déclaration d’Iheb Ghariani est venue comme un coup de pied dans une fourmilière et l’onde de choc a chauffé les esprits des Tunisiens et préoccupé des officiels au plus haut niveau.
Il convient de rappeler, au-delà de toute considération d’exploitation politique qui s’ancre, d’ailleurs, de plus en plus profondément dans notre culture, que plusieurs rapports indépendants ou d’instances indépendantes aussi bien de la société civile, des juridictions financières, et même de l’État, sont tous unanimes pour affirmer l’existence d’une opacité dans la gestion des richesses naturelles en Tunisie.
En effet, de sérieuses présomptions de malversation ont été relevées à l’occasion des audits qui ont été effectués par la Commission nationale d’investigation sur les affaires de corruption et de malversation (CICM), dite la commission Abdelfatteh Amor, le rapport numéro 27 de la Cour des comptes ou encore l’Instance nationale de lutte contre la corruption et même le dernier rapport du contrôle général des finances relevant du ministère des Finances.
Pour ne citer qu’un exemple, le rapport numéro 27 de la Cour des comptes a révélé que les exploitants des permis ne respectent pas toujours leurs engagements avec les partenaires nationaux dans le cadre des commissions techniques. C’est ainsi qu’ENI n’a pas respecté son engagement avec l’ETAP en ce qui concerne la valorisation du gaz du permis «Adam», qui au lieu d’être réinjecté dans les champs et utilisé pour produire de l’électricité, a malheureusement été brûlé et dont le volume est estimé à 93 millions de m3 rien que pour l’année 2010.
Visiblement, tous épinglent la mauvaise gestion et soulignent des présomptions sérieuses de malversation et de corruption dans les entreprises publiques relevant des secteurs des hydrocarbures et notamment l’ETAP, la STIR et la STEG, auxquelles et à tous les intervenants dans ce secteur des hydrocarbures, on reproche le renouvellement abusif de permis de recherche, la survalorisation des investissements, la tricherie dans la vente de gaz à la STEG, l’extraction expérimentale sans permis, le manque de suivi dans les opérations de forages-test, la comptabilisation de charges fictives et la facturation de complaisance inter-filiale des groupes extracteurs.
Dans ce contexte, Iheb Ghariani a ajouté : «Nous avons vu le rapport de la commission d’Abdelfatteh Amor laquelle avait prouvé et confirmé l’existence de présomptions de corruption dans ce domaine et le mot cité dans le rapport ‘c’était une mafia’. La commission avait confié les dossiers à la justice », a-t-il rappelé.
Par ailleurs, il a fait remarquer qu’il y a également le rapport N° 27 de la Cour des comptes de 2012, qui a dévoilé des dépassements engendrant des pertes financières colossales. « La cour avait aussi transféré le dossier au pôle judiciaire », a-t-il déclaré.
Aujourd’hui, peut-on dire, enfin, que les dossiers des hydrocarbures font réellement l’objet d’une enquête rigoureuse à la lumière des pistes évoquées dans les rapports de toutes ces instances et sur la base de tous les documents retrouvés après le 14 janvier ?
Dans tous les cas, entre la malédiction de la corruption et le fantasme de l’or noir le gouvernement a le tournis.