Le projet de loi relatif au partenariat public-privé (PPP) fait partie de ceux qui soulèvent des polémiques entre politiques et économistes. Des voix se sont élevées dans les deux camps : certains estiment que l’adoption de ce projet de loi est devenu une nécessité à l’heure où le pays passe par une période critique alors que d’autres demeurent réticents et appellent à plus de réflexion afin de le peaufiner tout en prenant en considération le risque de voir un tel projet se transformer en un prétexte pour la privatisation des services publics.
Une chose est sûre, le débat ne sera pas clos de sitôt d’autant que plusieurs événements ont été organisés récemment pour en débattre et bientôt il sera sur la table de l’ARP. Le groupe parlementaire de Nidaa Tounes, en partenariat avec l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) et la BAD, a organisé un séminaire pour discuter de cette problématique en présence d’économistes, de députés de l’Assemblée et de plusieurs intervenants dans le domaine.
Les économistes présents sont convaincus que le PPP est désormais un passage obligé pour l’économie tunisienne. Radhi Meddeb a dans son intervention estimé que vu la situation actuelle par laquelle la Tunisie passe, adopter le PPP devient « inévitable ». L’adoption de cette législation aiderait le gouvernement à répondre dans des délais plus courts aux besoins des citoyens, notamment en matière de services publics et d’infrastructures : « Aujourd’hui, l’Etat est en situation de crise profonde et à long terme au niveau de l’endettement public, ce qui ne lui permettra pas d’engager des investissements publics à la hauteur des attentes des régions nécessiteuses».
À partir de ce constat le spécialiste estime que : « Si on évite les risques inhérents à ce partenariat, il peut contribuer à trouver des solutions pour les besoins en infrastructures et en services publics ». Afin d’éviter tout risque, le spécialiste a indiqué que le gouvernement devrait mobiliser des experts financiers, fiscalistes et juristes « afin que les droits et devoirs soient équitablement partagés entre l’Etat et le secteur privé », précise-t-il. Dans la même logique, Moez Joudi, dans une déclaration accordée aux journalistes, a estimé que l’économie tunisienne a besoin d’une nouvelle relance d’où l’importance du partenariat public-privé.
Autre son de cloche : l’UGTT ne partage pas le point de vue des économistes. En effet, dans une déclaration accordée à leconomistemaghrebin.com, le secrétaire général adjoint de l’UGTT, chargé du secteur privé, Belgacem Ayari, voit les choses autrement. A notre question : « Ce projet de loi peut-il ouvrir la voie à la privatisation des entreprises publiques ? », le syndicaliste a répondu par l’affirmative. Il a estimé : « Je ne pense pas que des investissements régis par des contrats sur 50 ans entre l’Etat et le secteur privé reviennent à l’Etat à la fin du contrat », explique-t-il. Et de poursuivre : « La vraie menace qui guette le partenariat public-privé est la liquidation progressive des projets du secteur public au profit du secteur privé ». Pour Belgacem Ayari, le projet de loi sur le partenariat public-privé n’est pas une priorité. Il faut donc davantage de maturité dans les discussions afin d’élaborer un projet contenant toutes les garanties nécessaires pour ne pas risquer de liquider le secteur public. En somme, pour l’UGTT « le partenariat public-privé ne doit pas toucher aux secteurs cruciaux du pays qui sont la propriété du peuple tunisien, notamment la santé et l’éducation« , conclut-il.
Et nos députés, qu’en pensent-ils ?
Bien que son parti ne se soit pas encore prononcé sur le sujet, le député Mohamed Ben Salem ( du mouvement Ennahdha) nous a informés que son mouvement tiendra une réunion pour exposer son avis sur le projet : « La Troïka avait déposé le projet de loi relatif au PPP dès cctobre 2012 », informe-t-il.
Le député a déclaré que toutes les fois que le gouvernement a essayé d’encourager le secteur privé d’investir dans les régions défavorisées, la problématique du manque d’infrastructures refait surface. Or si l’Etat devait assumer seul et dans l’urgence la charge de procurer les infrastructures vitales et nécessaires à toutes les régions nécessiteuses de l’intérieur, telles que des hôpitaux universitaires par exemple, il faudrait au moins vingt ans. Par contre, grâce au partenariat public-privé, tout devient possible et en un moindre laps de temps. Et de renchérir :« C’est pourquoi je suis toujours surpris de voir que plusieurs personnes et certains partis politiques qui prétendent défendre les intérêts des régions défavorisées entravent ce projet», conclut-il.
Quant à Abdelaziz Kotti, député de Nidaa Tounes à l’ARP, il est catégorique. Pour lui : « Le partenariat public-privé est un projet incontournable pour la prochaine période que traverse la Tunisie étant donné que l’Etat est devenu incapable de fournir ce qui est nécessaire au niveau de l’infrastructure ». Il a rappelé que le PPP, pour être efficace, a besoin« aujourd’hui d’un cadre législatif qui stipule clairement les droits et devoirs des deux secteurs concernés. »
Afek Tounes, pour sa part, demeure ferme dans sa position exprimée d’ailleurs lors de la campagne électorale en faveur du PPP comme solution dans le cadre de ses propositions économiques. Le député Riadh Mouakher, dans une déclaration accordée à leconomistemaghrebin.com, a reconnu l’existence de quelques problèmes dans le projet en question : « Nous considérons que ce projet demeure incontournable afin d’accélérer le processus de développement. C’est un outil parmi d’autres car il n’y a pas de solution miracle. Nous devons l’ajouter à notre arsenal juridique », recommande-t-il. « L’essentiel est que l’Etat précise quels sont les secteurs sur lesquels il va appliquer le partenariat public-privé et comment va-t-il régir les contrats en question qui vont concerner aussi bien les intérêts du citoyen que de l’Etat ? », prévient-il.