William Nahum, près de 30 ans de carrière en tant qu’expert-comptable et commissaire aux comptes. Il est Médiateur national du crédit délégué en France, co-président du Comité Prévention-Résolution du Conseil Supérieur de l’Ordre des Experts-Comptables, l’un des premiers initiateurs du médiateur national du crédit français depuis sa création. Rencontré à l’occasion du 5 ème congrès de la Fondation Tunisienne pour la vérification et la gouvernance, il fait le point sur la question du médiateur national de crédit. Interview…
leconomistemaghrebin.com : Comment l’idée de la médiation des crédits est-elle venue ?
William Nahum : En 2008, le crédit était très contracté. Il y avait un manque de liquidité, la confiance même entre les banques était limitée et il y avait un risque majeur que cette situation aboutisse à un gel des crédits un peu partout aussi bien entre les banques que vis-à-vis des entreprises. Tout le monde se souvient des “subprimes” et du manque de confiance qu’on avait dans les actifs de banque qui pouvaient être pollués.
Le président de la République Française, à l’époque Nicolas Sarkozy, a pris un certain nombre de mesures comme la médiation des crédits. Il a ordonné d’injecter 26 milliards d’euros pour aider les entreprises à avoir du crédit. 600 millions d’euros étaient alloués pour appuyer les plans sociaux en difficulté et un grand emprunt de 36 milliards d’euros a été lancé.
Qu’en est-il aujourd’hui ?
En 7 ans, 25 mille dossiers on été présentés. 20 mille dossiers ont été traités. Par rapport aux 3 millions d’entreprises françaises, on est dans un chiffre statistique extrêmement modeste. La médiation du crédit en France a été fortement utile à plusieurs niveaux puisqu’elle a déjà résolu 20 mille problèmes. Elle a aidé à maintenir près de 400 mille postes d’ emploi. Mais en même temps, il faut dire aussi que ce n’est pas la panacée et ce n’est pas également la médiation du crédit qui va résoudre tous les problèmes. En effet, on ne peut pas grand-chose pour une entreprise qui se porte mal, qui ne reçoit pas de commandes, qui est peut-être parfois mal dirigée, ou qui se situe dans des secteurs globalement en crise.
Quel est le rôle de la médiation du crédit ?
La médiation du crédit n’a pas pour vocation d’obliger les banques à prêter à des entreprises qui ne pourront pas rembourser.
Quand on parle de 400 emplois maintenus, est-ce que cela influe sur le taux de chômage ?
Le taux de chômage n’a pas baissé objectivement parce qu’on n’ a pas créé des emplois, mais on les a maintenus. probablement que le chômage sera moins important. Le taux de “sinistralité” des entreprises qu’on a aidées n’est pas pire que le taux moyen d’une banque.
Prenons le cas de la Tunisie, l’expérience française est-elle transposable ?
Toutes les idées sont bonnes à prendre. Je n’ai pas à dire ce que les Tunisiens doivent faire mais pour les Français je leur dis suivez notre exemple parce que la médiation du crédit est l’un des dispositifs dans le contexte d’une économie globale. A partir de là, on peut dire sur le plan économique, que la Tunisie et la France ne sont pas comparables. Les taux de croissance de la Tunisie et celui de la France ne sont pas les mêmes. C’est aux Tunisiens de prendre en considération les principaux enseignements de la médiation du crédit français ce qu’il paraît le plus adapté à la situation particulière de la Tunisie.
N’y a-t-il pas d’autres solutions ?
La médiation du crédit est une petite solution. A mon avis, la bonne solution dans un pays comme la Tunisie, l’Allemagne, la France, que ce soit un pays en voie de développement, ou en développement, ou très développé, serait de procéder à un diagnostic. La médiation du crédit se fait entre les entreprises et les banques. Pour les autorités publiques, elles doivent faire d’abord un diagnostic approfondi de la situation (forces, faiblesses, secteurs concernés, système financier et bancaire..). La médiation du crédit permet de gérer des situations anormales.
Parmi les situations anormales, pouvez-vous nous citer un exemple concret ?
Le chef d’une agence de banque qui a été un tout petit peu secoué, agressé verbalement par un entrepreneur qui lui a refusé de lui accorder un prêt parce que l’entrepreneur l’a insulté. Il peut y avoir une mauvaise appréciation par le banquier face à la situation parce que le client ou le chef d’entreprise n’a pas présenté un dossier très compréhensible avec un bilan. D’où l’intérêt de la médiation du crédit sur le territoire. Ils sont cinq et sont des partenaires de la Banque de France. On a créé un corps de tiers de confiance de médiation, à savoir des avocats, des experts, des bénévoles qui assistent le chef d’entreprise – qui ne paie rien – pour constituer un dossier clair. Il y a toute une pédagogie qui permet de clarifier sa situation d’aujourd’hui, de la présenter de façon accessible aux banquiers. Si le dossier est clarifié c’est tant mieux. Si on arrive à adopter un plan sur deux ou trois ans, à avoir un budget prévisionnel compte tenu des carnets de commandes d’aujourd’hui, le banquier se sentira rassuré et va pouvoir donner une réponse rationnelle et non pas une réponse aveugle.