Dans un pays où la démocratie n’est pas encore stabilisée, le jeu populiste met le pays à rude épreuve. Opter pour le scénario du pire, pour se refaire une virginité, après la défaite électorale, comment nommer autrement les campagnes « wino al-petrole ? », le blocage de la production de phosphate et les multiples sit-in, accompagnés d’attaques des locaux de la sécurité ? Faut-il rappeler aux acteurs qui se montrent compréhensifs de ces dérives- ou de ceux qui les exploitent à des fins électoralistes – la définition de la démocratie de Platon, il y a deux mille quatre cents ans: « C’est la loi qui régnait souverainement sur les hommes, au lieu que les hommes fussent les tyrans de l’anarchie ».
Les dérives actuelles, faussement appelées contestations populaires, actes démocratiques, établissent l’anarchie là où il n’y a plus aucun repère institutionnel. Chacun doit survivre dans une compétition généralisée, où les hommes n’ont plus d’autre issue que de faire allégeance à plus fort qu’eux.
La « révolution » tunisienne– cas unique de réussite du « printemps arabe »- risque de remettre en cause la coexistence citoyenne, paralyse la mobilisation sécuritaire, freine la relance économique, met en échec les programmes gouvernementaux pour répondre aux attentes. La séance de discussion menée par les représentants du peuple a fait valoir les acquis des cent jours et défini le contexte des grandes réformes à engager. Toute cette œuvre nécessite la reprise du travail, dans un climat de sécurité. Les dérives populistes actuelles, qui ne sont guère des contestations pacifiques, ne peuvent assurer les conditions adéquates d’une dynamisation de l’action gouvernementale.
Dans ce contexte, la révolution est menacée de perversion par « le retour du refoulé » (les visions régionalistes, sinon tribales, le privilège des cercles d’appartenance, les revendications instantanées, occultant toute stratégie de développement). Exploitant la dichotomie entre le peuple et l’élite et une certaine défiance spontanée vis-à-vis de toute autorité, des acteurs marginaux s’introduisent, pour saper le pouvoir d’écoute de l’autorité et annihiler tout débat.
D’autre part, l’accueil réservé au Président de la République Béji Caïd Essebsi au sommet du G7, le 7 juin, atteste la promotion de la révolution tunisienne et les bonnes dispositions internationales qu’elle suscite. Or, les dérives peuvent saper la confiance, précipiter le recul économique, confirmer la crise du tourisme. S’étant produites essentiellement dans le sud et la région frontalière, ces dérives aggravent les risques d’entraînement de l’extrémisme radical, à nos frontières.
Cette opération contre-révolutionnaire remet en cause l’habilitation citoyenne, la gouvernance démocratique et les acquis de la conquête populaire. Des terroristes auraient rejoint les sit-in. Un retour aux normes devrait corriger ces dérives. Une nécessaire prise de conscience devrait faire éviter aux honnêtes contestataires, d’être les alliés objectifs innocents des radicaux et des terroristes.
Règle de La Palice, » la culture politique, c’est avoir du recul « . Eloignons-nous des partisans des vulgates dogmatiques, en nous rappelant que » l’intérêt c’est de préparer le monde qui vient, ce n’est pas de regretter le passé » (Entretien Michel Serres, « Ce qui m’intéresse, c’est l’accouchement du monde qui vient », le Monde, 20 mai 2015). Mais la prise de conscience devrait démasquer les auteurs des manœuvres et leurs soutiens underground.