Rien dans nos institutions ne l’obligeait à un tel exercice, au moment où lui-même et l’ensemble de son gouvernement sont sur tous les fronts, sans le moindre répit. Il l’avait promis, il l’a fait, à la grande satisfaction si ce n’est au grand soulagement des membres de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP).
En un peu moins d’une heure, le chef du gouvernement Habib Essid a présenté son bilan des 100 premiers jours et mis en perspective son plan d’actions et de réformes pour les semaines, sinon pour les années à venir. Ni épreuve imposée, ni examen de passage dont il n’est nullement tenu ou concerné. On sentait chez lui une envie d’expliquer, plus que de s’expliquer. Il ne pouvait faire plus et mieux qu’il n’en a fait, sauf si ses détracteurs voulaient se murer dans une opposition et un refus stériles si peu républicains. Que pouvait faire davantage que n’a fait le gouvernement Essid en si peu de temps, avec si peu de moyens, plombé qu’il est par un lourd héritage et une situation explosive ? Le chômage, le terrorisme, la flambée des prix… étaient, à sa prise de fonction, au plus haut quand l’économie, les finances publiques, l’investissement et le moral des Tunisiens étaient au plus bas.
Habib Essid est allé à la rencontre des représentants du peuple comme il se devait de l’être, avec l’aplomb, l’assurance et la détermination d’un chef de gouvernement au leadership affirmé. Il a défendu son bilan avec dignité et l’humilité qu’il faut, donnant ainsi le sentiment du devoir accompli. Il prit, à l’occasion, de nouveaux engagements, en mettant le cap sur le redressement de l’économie tunisienne et la refondation du social.
Il a surtout affirmé sa détermination de restaurer l’autorité de l’Etat en faisant respecter la loi républicaine, de résorber la fracture sociale et régionale, d’éradiquer le terrorisme et la corruption sous toutes ses formes, sans aller, il est vrai, jusqu’à déclarer illégaux le chômage et la pauvreté. Mais le pouvait-il ? Son discours, au parler vrai, juste et rapide, retrouve une certaine tonalité qui a ajouté à la gravité du propos… Au fil de ses interventions, le personnage a pris plus de relief et d’épaisseur, affirmant ainsi un leadership sans partage sur son gouvernement.
Certaines figures du microcosme politique et de l’establishment social et sociétal trouveront sans doute à redire ; ils en ont le droit, la légitimité et peut-être même le devoir. Dans l’opposition et jusqu’au sein même de sa majorité, des voix se sont élevées pour regretter, déplorer, voire dénoncer l’absence de vision – très à la mode – ou d’un grand dessein national – pourquoi pas – et même d’un plan de route détaillé et précis, alignant, une à une, les étapes et les seuils qu’il entend franchir avec son gouvernement.
Il n’est pas exclu que de telles appréciations aient un fond de vérité. Les évoquer aujourd’hui sous le feu roulant des interrogations et des incertitudes, à l’heure où le pays fait face à l’urgence sociale, économique et sécuritaire, doit tempérer quelque peu leur portée sans les décrédibiliser pour autant. Il y a, hélas, plus urgent à entreprendre. Et en la matière, le gouvernement Habib Essid n’a pas failli dans sa guerre contre le terrorisme, les prédateurs, les spéculateurs et les fraudeurs qui font exploser les prix, au mépris des lois de la République et du marché.
Vendredi 5 juin, à un peu plus de 100 jours de sa prise de fonction, Habib Essid ne s’y est pas trompé. En renouant le fil du dialogue avec les représentants du peuple, il n’a pas parlé politique politicienne, dont il n’en a cure, il a parlé réponses à l’ensemble des Tunisiens, qui en ont tant besoin. Pour les réconcilier, les rassembler, les rassurer, les sécuriser mais aussi les prévenir et les mettre en garde contre les périls internes et externes. Il faut y voir un appel pour un sursaut national devant sauvegarder l’unité nationale, l’économie, notre modèle social, la République et la démocratie naissante.
Sans doute faut-il, à cet égard, définir une nouvelle pédagogie des tensions et des conflits sociaux et … régionaux, pour ramener le calme dans les esprits et dans le pays. Seule manière de couper la voie aux instigateurs des troubles à visage à découvert ou masqué, aux discours haineux et aux sombres desseins qui sèment la discorde et la division. Ceux-là mêmes qui prétendaient naguère combattre pour la démocratie et les libertés font tout aujourd’hui pour les détruire, en s’acharnant à faire tomber le premier gouvernement de la 2ème République issu d’élections libres et démocratiques qu’ils n’ont pu remporter, à cause de ce qu’ils sont et des préjudices économiques, politiques et moraux dont ils ont accablé le pays.
Il n’empêche ! Si le feu a pris avec autant de rapidité dans les régions aujourd’hui en convulsion, c’est que le terreau s’y prête. A charge pour le gouvernement de Habib Essid d’apporter de nouvelles réponses qui ne soient pas décalées des attentes de ces régions à la dérive, pour ne pas ajouter la crise aux frustrations qui s’y sont accumulées depuis plus d’un demi-siècle.
Il faut réinventer une nouvelle forme de dialogue politique, économique, social et sociétal qui place la région au coeur même de ce dialogue. Les régions, aujourd’hui secouées par les spasmes d’une agitation sociale et politique d’une grande gravité, doivent être l’épicentre de ce dialogue. Pour pouvoir parler investissement, croissance, création d’emplois, de richesses et d’une meilleure répartition de celles-ci.
On sait combien il est difficile, sinon impossible, d’investir en temps d’incertitudes. Il ne faut pas qu’aux aléas du marché et des mutations technologiques, s’ajoute l’incertitude politique. Pour autant, la reprise de l’investissement est impérative, elle soutiendrait la demande aujourd’hui et l’offre demain. L’Etat doit donner l’impulsion en relançant l’investissement public. A cette précision près qu’il ne pourra financer cet effort que par la compression de ses dépenses de fonctionnement devenues insoutenables.
Il se doit aussi, et avec le même effort, soutenir l’investissement privé par des incitations fiscales et financières. On doit se convaincre de cette évidence qu’on ne peut, dans le contexte actuel, faire repartir l’investissement privé sans amorcer la pompe de l’investissement public. Le second, sans être relayé et soutenu par le premier, aurait des effets limités dans le temps et dans l’espace et serait loin des exigences d’une croissance forte, durable et inclusive.
L’Etat, il est vrai, ne peut tout faire à lui seul. Il doit impulser la dynamique de développement, soutenir l’investissement privé et agir comme « réducteur d’incertitude » pour nous aider à retrouver l’envie d’entreprendre et le goût de l’avenir. Une chose est sûre : les entrepreneurs, tout autant que les acteurs sociaux et les citoyens-consommateurs marchent à la confiance. Celle-ci reviendra quand le discours officiel s’évertuera à dire la vérité des situations et des réformes qui s’imposent. De ce point de vue, la récente prestation du chef du gouvernement devant les élus du peuple promet autant qu’elle promeut. La croissance n’est certes pas au coin de la rue, mais la visibilité est déjà montée de plusieurs crans. C’est énorme.