François Gouyette, ambassadeur de la République Française en Tunisie, a accordé une interview exclusive à l’Economiste Maghrébin. Voici des extraits de cette interview publiée en intégralité dans le n°661 de l’Economiste Maghrébin .
L’Economiste Maghrébin : Qu’en est-il des entreprises françaises installées en Tunisie ? Ont-elles été affectées par les problèmes, notamment sociaux ? Ont-elles quitté le pays ?
François Gouyette : Nous sommes de très loin, non seulement le premier investisseur, mais nous avons aussi le plus grand nombre d’entreprises, soit plus de 1300 entreprises, employant près de 130 000 Tunisiens. Et il existe également des investissements nouveaux.
En 2012, l’entreprise Bic a investi 11 millions d’euros pour la construction d’une usine à Bizerte ; dans le domaine de l’alimentation animale, une des plus grandes sociétés françaises de cette filière, Avril, a également investi 15 millions d’euros.
Sans parler des grands groupes, comme Total, qui a décidé d’investir près de 50 millions d’euro sur trois ans pour la modernisation du système de distribution. Je dois dire aussi qu’il y a une volonté concrète des sociétés françaises de pérenniser leur implantation ; il n’y a aucune espèce de mouvement de retrait.
En moyenne, 50 sociétés sur 1300 partent chaque année, depuis la révolution, comme avant 2011 d’ailleurs, et ce pour des raisons qui leur appartiennent, mais qui ne sont pas liées spécifiquement à la conjoncture tunisienne : en 2014, ce nombre est même tombé à moins de 10.
Pour autant, il serait malhonnête de nier que des sociétés étrangères, notamment françaises, sont parfois préoccupées par le climat social qui règne dans le pays. Elles souhaitent que la situation se stabilise, qu’il y ait un cadre favorable pour l’investissement et qu’elles puissent travailler dans de bonnes conditions.
Qu’en est-il de la conversion de 60 millions d’euros de dettes en projets ?
…Permettez-moi de rappeler que la France est tenue par des règles budgétaires extrêmement strictes, qui découlent du traité de Maastricht, comme vous le savez. Nous avons donc des contraintes, et pourtant, nous avons souhaité faire un geste significatif. Nous sommes maintenant en discussion avec les autorités tunisiennes pour identifier le ou les projets qui devraient bénéficier de ce mécanisme. Pour notre part, nous souhaitons avancer au plus vite pour que cette conversion soit mise en œuvre et qu’elle bénéficie ainsi rapidement à la population.
Passons à l’incontournable et récurrente question des visas…
Votre question me permet de rectifier certaines idées fausses. Je ne cesserai de le répéter, nous observons aujourd’hui un taux extrêmement élevé de délivrance de visas, puisque nous sommes à plus de 100 000 visas délivrés en 2014, avec un taux de refus constaté de moins de 10%. Plus de 40% des visas délivrés sont des visas de circulation, c’est-à-dire d’une validité supérieure à un an. Par ailleurs et en mettant en place depuis 2012 le nouveau système de collecte et de délivrance des visas avec TLS, nous avons mis fin à ce scandaleux phénomène des interminables files d’attente devant le consulat de France. Aujourd’hui, il y a un système de prise de rendez-vous par internet ; les gens sont généralement satisfaits du service qui leur est offert.
La crise libyenne et la menace qu’elle fait peser sur les pays voisins …
Nous en parlons avec nos amis Tunisiens dans le cadre du dialogue politique et nous sommes d’accord avec eux pour estimer qu’aujourd’hui, essayer de sortir de cette crise, de ce chaos, c’est soutenir l’effort des Nations unies. Il n’y a pas de solution militaire à la crise. Il ne peut y avoir qu’une solution politique, qui passe par la mise en place d’institutions et par l’avènement d’une union nationale.
Les discussions sous l’égide de l’ONU ne sont pas interrompues ; il faut espérer qu’on parvienne à un accord. On a constaté la progression de Daech dans la région de Syrte. C’est le résultat inéluctable des divisions libyennes. Daech profite de cette situation d’instabilité et des affrontements qui ont lieu entre le camp de Tripoli et celui de Tobrouk.
L’ensemble des Libyens est menacé par cette progression. Nous espérons une prise de conscience de la nécessité de trouver une solution de compromis et de construire une union, justement pour mieux combattre la menace terroriste.