Les événements tragiques que vient de connaître le pays ne laissent plus aucun doute sur les intentions macabres de l’organisation (ou des organisations, d’ailleurs) terroriste. L’effet de surprise, et de mobilité, est récurrent, à travers ce qu’on appelle des cellules dormantes, véritables commandos fanatisés et tapis dans l’ombre pour faire le maximum de victimes et pour assurer aussi la meilleure couverture médiatique.
Le « gap » sécuritaire de l’après-révolution et de la troïka a aussi permis de mettre en état de marche ces cellules, désormais en possession d’armes redoutables, dont les sources ne tarissent pas, en dépit du démantèlement des quelques réseaux par les sécuritaires tunisiens.
Ce n’est guère une consolation, mais d’autres pays sont confrontés à cette pieuvre, qui agit selon les mêmes scénarios éprouvés par les réseaux mafieux. Ceci étant, il ne faut pas du tout sous-estimer leur capacité d’embrigadement à travers les réseaux sociaux et au nom d’un projet d’un autre temps, mais vécu par beaucoup comme une mission sacrée. Des milliers de jeunes Tunisiens ont tout abandonné pour aller renforcer des légions, sans espoir de retour. D’autres « nervis » sont originaires de France ou de Grande Bretagne, mais le résultat est le même : l’exaltation faussement messianique remplace toutes les pulsions de vie, au nom d’une promesse de Paradis que ne peut évidemment pas assurer, religieusement parlant et au sens de la doxa, le calife, objet de toutes les dévotions.
Le calife aura compté, avec succès jusque-là, sur l’endormissement des cellules de la raison chez des jeunes, désormais menés au fouet et à la peur qui bloque toutes les issues de l’esprit humain.
Il compte aussi sur les trafics les plus rémunérateurs et le pétrole saisi pour avoir l’argent de ses crimes. L’argent et l’abdication de la raison sont les deux mamelles de l’extrémisme le plus meurtrier, mais aussi des mouvements de foule les plus intempestifs. Il n’y a qu’à observer les dérives du foot, en version soft du dérèglement des sens. Il n’y a qu’à observer l’hystérie qui s’empare de certaines foules mobilisées pour des causes dont très peu de gens comprennent l’objet. La Tunisie est bien entrée dans l’ère de la démocratie, pour le reste, les cellules neuronales ne semblent pas être vraiment de la partie. L’endormissement amène souvent la perte du contrôle de soi et des accidents de parcours tragiques.
Au final, il y a manifestement à craindre le dédoublement de la personnalité chez le Tunisien moyen et très commun. Des drames endeuillent des familles entières dans l’aveuglement des assassins sans foi ni loi ; en même temps, le mois du jeûne et de l’abstinence reprend les habitudes de la surconsommation, du gâchis coupable et de la dévotion que l’on affiche, juste pour donner l’impression. La véritable dévotion n’a évidemment que faire du tapage en trompe l’œil. Mais par les temps qui courent, le spectacle offert relève plus du tapage ostentatoire que de la défense des intérêts tout à fait discordants des corporations érigées en citadelles.
On ne l’a pas dit suffisamment, mais c’est le climat que préfèrent toutes les espèces de cellules dormantes. Plus il y a de discours creux, mais tonitruants, mieux se réveillent les cellules tapies à la recherche des bonnes opportunités. Sur les gradins des stades, on voit bien que des énergumènes s’organisent ad-hoc en bandes de casseurs, au nom de la défense d’on ne sait quel parti pris devenu subitement vital. Et comme beaucoup de médias ne laissent pas passer l’aubaine pour faire du chiffre, les réveils de lendemain de matches deviennent de plus en plus calamiteux. Dans cette affaire, les mêmes rouages sont en oeuvre : on casse d’abord, ensuite on prépare la prochaine casse. Les terroristes font de même, quelques auteurs de dérives syndicales s’y mettent aussi. Quitte à tabasser des journalistes aussi accusés pour la circonstance de ne pas encourager les dévoiements bruyants devenus symboles d’action démocratique.
Il ne suffira donc pas de crier sur les toits que l’expérience démocratique tunisienne est exemplaire.
Judas aussi a embrassé pour mieux trahir et il faut être bien naïf pour croire aux incantations qui ne font que caresser la bête dans le sens du poil. L’affaire des diplomates libérés en Libye, en échange d’un prisonnier pris en flagrant terrorisme, dit bien ce qu’elle veut dire. Ce Libyen agissait dans les sillages des cellules dormantes et terroristes en Tunisie. Les ravisseurs de diplomates ont agi pour le faire libérer. La cellule à laquelle il appartient n’est plus dormante et il va falloir faire gaffe aux prochains rebondissements.
En attendant, on nous dit que la loi contre le terrorisme sera prête cet été. La cellule dormante chargée de ce texte au sein du parlement promet donc de se réveiller. Il faut dire que la torpeur profonde qui a caractérisé son action jusque- là a permis, et permet encore, aux terroristes de tous bords, de profiter des palabres parlementaires.
On a même vu un parti, tout ce qu’il y a de légal, arborer le drapeau du terrorisme pour tenir son congrès avec grand fracas.
En toute impunité et même quand le même parti dit vouloir nous « libérer » avec un projet de califat, alter ego et interface du même projet qui fait couper des têtes en ce moment. Les réseaux dormants du califat d’Orient n’ont ainsi eu aucune entrave à leur démonstration de force, face aux démocrates médusés et pris de panique. Le réveil est brutal, mais la brutalité était-elle à ce point imprévisible ?
Les réseaux dormants sont, par définition, en hibernation pour pouvoir mieux sévir en jouant de la surprise. Du commerce parallèle qui finance les caisses les plus noires aux prédicateurs de l’aube qui recrutent pour l’internationale terroriste, la dissuasion et la guerre ne doivent pas être menées seulement par les armes.