Parmi les projets de loi à caractère économique, celui relatif aux contrats de partenariat public-privé (PPP) a le plus suscité de polémiques en Tunisie. UTICA, UGTT, CONECT, Synagri, UTAP, hommes d’affaires…, tous ont émis des réserves. Du temps de l’ANC à celui de l’ARP actuelle, le projet a fait plusieurs va-et-vient entre la Kasbah et le Bardo. En tout cas, ce type de partenariat qui n’est pas une nouveauté en Tunisie, demeure une des principales pommes de discorde entre détracteurs et défenseurs.
Faut-il encore préciser que les contrats PPP existent déjà en Tunisie, sauf que l’expérience, du moins pour certains projets, a montré bien des abus, justifiant à juste titre les craintes des uns et des autres.
Le 28 juillet, lors d’une réunion conjointe des commissions de l’industrie, de l’énergie, des ressources naturelles, de l’infrastructure et de l’environnement et de l’agriculture, de la sécurité alimentaire, du commerce et les services liés concernant l’examen du Projet de loi N°69/2012 relatif aux contrats de partenariat public-privé, Riadh Mouakhar a décalré que « ce projet de loi est un peu complexe. On pourrait éventuellement essayer de le simplifier. Le but du partenariat public-privé est d’inciter à l’investissement. On devrait se servir des expériences d’échec des autres pays« .
Le député s’est intérrogé par la même occasion sur la différence entre ce projet de loi, la loi portant régime des concessions et la loi des investissements. « Nous avons l’impression de soumettre notre secteur public aux enchères mondiales. J’ai l’impression que ce projet de loi est beaucoup trop développé par rapport au niveau où on est, surtout que notre Gouvernement ne nous a toujours pas préparé de plan de développement. Je doute que ce projet de loi soit un produit de notre cru, car il contient des choses qui sont loin d’être à notre portée. Il faudrait connaître notre situation économique précise d’abord. Il faut un plan, il faut être honnête et voir si on a vraiment l’argent pour le développement ou pas », dit-il.
Pour le député et hommes d’affaires Moncef Sellami, ce projet de loi ne sera une réussite que s’il y a en parallèle une vraie décentralisation. Il considère que dans un Etat centralisé, on ne pourra jamais aboutir au développement des régions. Ce projet de loi servira surtout aux petites et moyennes entreprises qui se trouvent dans les régions intérieures du pays. « Il y a des choses que l’Etat ne peut pas gérer complètement et que le secteur privé peut faire. Il y a même des sociétés privées qui interviennent au niveau fiscal et des impôts et qui sont plus efficaces que l’Etat », a-t-il précisé.
Alors doit-on avoir toujours peur des contrats PPP ?
« Non ! Non !», répond le membre de la Confédération des Entreprises Citoyennes de Tunisie (CONECT) et homme d’affaires, Adnane Ben Salah, mercredi 5 août 2015, dans une émission politique diffusée sur les ondes de la radio nationale. « Il ne faut pas avoir peur des contrats PPP, au contraire, ils sont une très bonne chose qu’il faut plutôt encourager et développer en nous inspirant des expériences de par le monde, de leurs points faibles et forts. » Au contraire, argue-t-il, il faut que cela soit bien réfléchi, et que l’on s’habitue à regarder un peu dans notre passé, remettre en question ce qui a marché et ce qui n’a pas marché, et ainsi évoluer en tirant des leçons de nos erreurs passées. Et d’ajouter : « Aujourd’hui, les contrats PPP à mon avis sont incontournables, inéluctables, nécessaires et souhaitables. »
Pour développer son argument, M. Ben Salah explique : « Les contrats PPP ont plusieurs avantages. D’abord il faudra les définir. Parce qu’à ce jour, soit dans les textes anciens soit dans le texte proposé et rejeté par l’ARP, il y a dans la mémoire collective ou dans le savoir collectif que le PPP c’est les BOT (Build Operate Transfer), c’est-à-dire faire un projet en partenariat où la partie privée construit ou met en place le projet, le finance, l’exploite dans un délai particulier et le re-transfert à l’Etat ou à la partie publique au bout d’un certain nombre d’années ».
Les contrats PPP doivent être une culture
Pour le membre de la CONECT, les PPP ce n’est pas ça. «Il n’y a pas que les BOT, c’est la partie, à notre sens, la plus usitée mais aussi la plus simpliste et qui ouvre plus de droit. Il y en a d’autres, et c’est ça qu’on voudrait encourager. On voudrait que les PPP aillent au-delà de simples petits dogmes où on fait des BOT parce que l’Etat n’a pas d’argent. Non on doit faire des PPP pour qu’ils soient un outil de développement, un outil de croissance. »
Dans ce contexte, il donne quelques exemples de contrats PPP qui peuvent être envisagés : « Il y a l’essaimage, c’est un partenariat public-privé qui n’est pas forcément basé sur l’argent. Il y a la cogestion qui n’est pas non plus basée sur l’argent, il y a le codéveloppement de projet qui n’est pas bâti forcément sur un manque d’argent, il y a aussi les régies intéressées, alors là c’est l’exemple type où c’est une délégation de services publics et c’est-à-dire les concessions, les délégations, ce qu’on appelle la mise en gestion-clé, etc, ce n’est pas de l’argent non plus. Il y a l’affermage, il y a la co-concession, il y a la concession, il y a les BOT, bien entendu, et on peut imaginer à l’infini des possibilités. »
A la question de savoir quel est le principe des contrats PPP ? Adnane Ben Salah répond : « Le principe des contrats PPP, c’est un contrat entre une partie privée et une partie publique pour un projet particulier. » A partir de là, poursuit-il, il faut définir le projet. Comment va se faire ce projet ? C’est le contrat qui le définit. C’est pour cela qu’on disait que ce texte qui est parti donne l’impression d’avoir été fait dans l’urgence. C’est pourquoi il n’est pas suffisant, trop peu, trop tôt.
Invité à la même émission, l’universitaire et chercheur en économie, Tahar El Almi, a, pour sa part, donné sa définition des contrats PPP. Tout d’abord, dit-il, les 3P, le projet Partenariat Public et Privé est un instrument stratégique et incontournable, et ce, pour deux raisons essentiellement philosophiques d’abord. Elle asseoit les conditions de codéveloppement de deux secteurs au moins, à savoir le secteur public et le secteur privé. Plus encore, et cela va venir, souligne-t-il, parlant du ‘’tiers-secteur’’, qui, selon lui, est un secteur privé et social et c’est-à-dire tout le secteur solidaire.
Et de poursuivre : «Le deuxième facteur non moins important, il impulse et il accélère le développement par tout un mécanisme que les économistes appellent économie keynésienne : la demande qui entraîne l’offre qui fait qu’on crée de la valeur qui n’est pas immédiate. Prenons l’exemple d’un projet d’autoroute , il va s’étaler sur une longue période de trente à quarante ans. Il faudra donc que l’État soit présent parce que le privé ne pourra jamais assumer totalement le financement à lui seul, surtout dans un pays comme le Tunisie où il y a une contrainte financière relativement importante. Il faudra répartir la tâche du financement et celle de la gestion du projet. On sait très bien d’ailleurs que la gestion privée est essentiellement plus efficiente que la gestion publique. D’où l’importance du partenariat public privé. »
Énumérant le troisième élément, M. El Almi explique que ce dernier est important mais pas spécialement en Tunisie, car, explique-t-il, l’État tunisien a, aujourd’hui, une contrainte financière relativement importante. Cependant elle n’est nullement catastrophique, en comparaison de l’Espagne. On raconte plein d’histoires sur une dette publique de 53% alors que celle de l’Espagne est de 180% du PIB, mais ceci n’exclut pas le fait que l’Etat a des contraintes financières assez sérieuses qui se sont accrues entre 2011 et 2013, à cause d’une gestion intempestive au niveau de l’emploi. « Il faut comprendre une chose, c’est qu’un privé lorsqu’il met des fonds, il met ses billes dans une escarcelle mais il faut qu’il y ait un retour sur investissement », insiste-t-il, ajoutant qu’il faudra donc avoir une vision où chacun puisse s’y retrouver.
«Par-là, le social se retrouve et le public doit aussi se retrouver, sinon il n’y aura pas de PPP, il n’y aura que de contrats PP et stop ». Reprenant la parole, M. Ben Salah a, de son côté, fait observer : «Le texte qui a été présenté, à notre humble avis, n’a pas de corps, n’a pas d’esprit et n’a pas de philosophie quand on le lit. C’est pour cela qu’on reste un peu perplexe, car quand on fait une loi, il faut commencer par l’esprit de la loi. Elle doit véhiculer une vision, elle doit avoir une âme … et en lisant le texte il faut que l’on sache où l’on va, et comme je l’ai dit, c’est trop tôt et trop vite. Il n’y a pas urgence ». Par ailleurs, il a attesté que les textes actuels de la loi 2008-23, à deux petites choses près, sont convenables. Elle a permis de faire les autoroutes, elle a permis de faire la centrale de Monastir, elle gère très bien les BOT. Il y a également, fait-il savoir, un autre texte qui gère relativement bien les concessions.
A la question de savoir ce qu’il reproche au projet de loi qui vient d’être rejeté à la demande du secteur privé, Adnane Ben Salah répond : «Plusieurs personnes ont été contre ce texte, sauf que les motivations ne sont pas les mêmes. Il y a eu des groupes de résistance contre l’esprit du projet des contrats PPP. L’administration n’était pas très contente, pouvoir administratif oblige, le syndicat le refusait également, certaines grandes entreprises publiques n’étaient pas très contentes non plus, et l’opposition de même ».
A la question de savoir pourquoi disent-ils que le projet de loi des contrats PPP ne marchera pas ? Adnane Ben Salah avance : « Il y a un argument assez fallacieux et ressassé de manière régulière ; c’est de dire qu’il n’est pas possible de faire des projets publics- privés sans qu’il y ait la corruption, de l’opacité, etc. et le fait même de dire que le privé et le public sont capables de travailler ensemble dans la transparence relève de l’utopie, vu les mauvaises expériences dans le passé. Mais, témoigne-t-il, il y a aussi d’excellentes expériences et il faut mettre en avant le bien et non le mal pour pouvoir avancer. Leur deuxième argument, c’est le dogme. Un dogme dans lequel on dit que les contrats PPP c’est de la privatisation déguisée, alors que c’est tout à fait faux. Il y a aussi cette aversion dictée par l’appât du gain« .
Enfin, M. Ben Salah cite le dernier argument qui a été posé sur la table des rejets, qui considère que les contrats PPP cassent l’emploi. « C’est une contre-vérité, car les contrats PPP, s’ils sont bien réfléchis, sont d’extraordinaires pourvoyeurs d’emplois », conclut-il.