Un an après, la Tunisie se trouve aujourd’hui à la croisée des chemins en matière de gouvernance. Le gouvernement semble tarder à mesurer la gravité de la crise économique et à élaborer activement des politiques adéquates pour y faire face.
La faible réponse du gouvernement au marasme économique et le fait qu’il ait mis longtemps à prendre conscience de la gravité de la crise soulèvent d’importantes questions politiques, économiques et sociétales dans la classe politique et la société civile et suscitent des appréhensions au sein de la population.
Il est donc essentiel à cet égard d’écouter l’avis des experts en la matière, et ce sont M. Ezzeddine El Arbi, professeur d’économie et consultant auprès de la Banque mondiale et M. Tahar El Almi, universitaire et docteur en économie, qui ont apporté des éléments de réponse à la question soulevée, dans une émission politique diffusée sur les ondes de la radio tunisienne.
L’économie tunisienne s’est-elle vraiment engagée dans la mauvaise voie ?
La question mérite aujourd’hui un minimum d’éléments de réponse. Selon Ezzeddine El Arbi, la Loi de finances complémentaire 2015 est en fait un instrument qui a été révisé et qui enregistre pratiquement ce qu’on appelle « un tableau sombre », qui témoigne d’une année de crise, puisque le taux de croissance a été ramené à 1% et on espère que ce taux puisse être maintenu. Et c’est ce point-là qui, aujourd’hui, risque d’impacter fortement les IDE, la croissance, les salaires, la création d’emplois.
La Tunisie est dans une situation économique exceptionnelle et traverse des périodes historique de fortes agitations voire extrêmes et sans trêve ; il faudra donc des pratiques économiques exceptionnelles, ce que l’on appelle «Économie de guerre » qui a pour objectif le maintien des activités économiques indispensables à un pays où la place del’investissement dans l’économie de guerre ne doit pas être négligée.
Faut-il alors s’attendre à un état d’urgence économique à l’instar de l’état d’urgence sécuritaire et politique ?
« Nous sommes en crise et il faut vraiment prendre le taureau par les cornes et mettre les choses sur le bon chemin. Quand on parle d’économie de guerre il faut s’attendre à la création d’emplois, au développement régional, on s’attend à ce qu’il y ait une autre étape. Oui je suis pour l’état d’urgence économique ! Ce qui est arrivé, exogène ou pas avec les attaques du Bardo et de Sousse, a grignoté deux points du PIB.»
Prenant la parole à son tour, Tahar El Almi, trouvant M. Ezzeddine trop optimiste, a voulu aller plus loin :
« 2011 c’était une année de révolte, l’économie a reculé de « trois ou quatre ans ». En 2012 l’économie s’est reprise avec un taux de croissance avoisinant les 3% laquelle a chuté de 1 point en 2013. En 2014, le taux a encore rechuté à 2.5%. Et enfin, en 2015 le taux de croissance est révisé à 1%. Ce qui signifie, explique M. El Almi, que 2012, 2013 et 2014, étaient une période de récession. C’est-à-dire que la vitesse de croisière de la création de richesses est en train de décélérer et si cela continue, l’année 2015 sera une année de dépression, ce qui veut dire que le PIB va diminuer, et quand le PIB diminue, les revenus diminuent, la création de richesses aussi, et les déficits augmentent, etc. Et la preuve de cela, les journalistes économiques se félicitent, à tort d’ailleurs, que les exportations aient enregistré une augmentation de 2% alors que la Tunisie réalisait auparavant 5 ou 6%, et que les importations ont diminué. »
À son grand désarroi, M. El Almi, sans mâcher ses mots, a déploré : » Au contraire je devrais pleurer de voir les importations diminuer, ce qui veut dire qu’il y a moins de matières premières, moins de produits de consommation importés, et là on ne parle pas de voitures mais d’autres produits plus indispensables. Aujourd’hui, il faut se rendre à l’évidence : le pays est à genoux. Et de surcroît, les moyens financiers de l’État sont en train de fondre. L’État n’a pas d’argent. L’État dépense et les ressources manquent : car s’il n’y a pas de revenus dans les caisses publiques, c’est qu’il n’y a pas d’impôts, et c’est évident parce qu’il n’y a pas de production puisqu’il n’y a pas de création de richesses. »
C’est la dérive, poursuit M. El Almi qui s’interroge : « Où est le message fort de l’État ?». Avant c’était un État de transition, aujourd’hui, nous avons, depuis une année, un État légitimement élu, auquel nous avons confié une mission de redressement du pays, mais il semble qu’on est loin du compte, hormis les excellents résultats enregistrés au niveau de la sécurité.