Le gouvernement n’avait, jusque-là, jamais prononcé le mot de récession technique, préférant tempérer et utiliser les termes de « croissance faible ». Mais, ce vendredi, un rapport de la Banque centrale a annoncé l’entrée de la Tunisie dans une période de « récession technique ».
Pour le Tunisien, c’est la première fois qu’on lui parle de récession, mais sans lui expliquer ni l’ampleur, ni l’origine de ce mal absolu. L’expert économique et président de l’Institut des prévisions économiques, Radhi Meddeb, a essayé de nous aider à comprendre la notion de récession.
Invité sur le plateau de Shems Fm, vendredi dernier, Radhi Meddeb a fait observer que c’est une question complexe pour le public et qu’il faut en faciliter la compréhension. La récession technique, dit-il, est pareille à ce coureur qui s’essouffle jusqu’à en perdre haleine avant de tomber avant l’arrivée. « En économie, la récession c’est deux trimestres consécutifs de recul du produit intérieur brut ( PIB ). »
Dans le même sillage, l’expert économique prévoit que l’on devra s’attendre à une croissance négative aux troisième et quatrième trimestres 2015, affirmant qu’aujourd’hui, notre économie s’essouffle et devrait chuter encore davantage. « On ne souhaite pas cela à notre pays, mais c’est la réalité. Il faut se rendre à l’évidence. »
Et de poursuivre sans cacher son pessimisme : « On ne peut que s’inquiéter des perspectives de l’économie tunisienne. Le chômage reste excessif, les gains de productivité sont anémiques et la dette publique demeure écrasante et rien ne laisse entrevoir que la Tunisie se soit engagée dans la voie du redressement », fait-il remarquer.
Pourtant, dit-il, » j’imagine que la classe politique et toutes les parties concernées avaient conscience de la situation. Et pour cause, puisque le 20 mars dernier le Président de la République avait prévenu, dans son discours, qu’il était impératif d’entreprendre des réformes radicales et indispensables aussi douloureuses fussent-elles, pour redresser l’économie ».
Il faut aussi voir de près la réalité pour pouvoir traiter objectivement les problèmes « avant que le toit ne nous tombe sur la tête et avant qu’il ne soit trop tard et regretter par la suite de n’avoir rien fait. »
L’expert économique a rappelé que, constitutionnellement, le Président de la République n’est pas responsable des affaires économiques, financières et sociales du pays, faisant remarquer que cela est du ressort du gouvernement.
« On s’attendait à ce que le gouvernement Essid inclut ces suggestions présidentielles dans le budget de l’Etat prévu dans le projet de la Loi de finances complémentaire 2015 (LFC) pour surmonter la crise et remettre notre économie sur la bonne voie. »
Mais les choses se sont passées autrement. Souvent encombré, le gouvernement Essid, au lieu de développer des stratégies de développement à court et à long terme, avec une vision claire, s’est plutôt efforcé de réagir au rythme des tensions provoquées par les incessantes revendications qui surgissent de toutes parts et à tout moment, pour des solutions rapides et erronées « , a-t-il regretté.
Prenant en exemple le secteur touristique, Radhi Meddeb est revenu sur les attaques du Bardo et de Sousse : «Les attaques du Bardo et de Sousse ont porté un coup fatal à un secteur aussi important pour l’économie, que celui du tourisme. Les problèmes du secteur touristique ne peuvent pas se résoudre par de petites retouches. Peut-être l’affluence des touristes algériens a quelque peu réduit le déficit hôtelier pendant les mois de juillet et d’août, mais ce n’est pas assez pour résoudre radicalement les problèmes essentiels, alors que nous n’avons pas encore vécu les vraies retombées de cette catastrophe sur le tourisme tunisien.»
Aujourd’hui, le pays a enregistré une certaine amélioration au niveau des exportations, notamment alimentaires et textiles… Ne suffisaient-elles pas à propulser notre économie ? Voilà ce qu’en pense M. Meddeb.
Il faut savoir qu’effectivement la situation économique dans laquelle la Tunisie se débat depuis la révolution est due à deux ou trois causes principales.
Premièrement, la revendication des libertés qui sont, aujourd’hui, garanties par la constitution, liberté d’expression, liberté de réunion, liberté de grèves, qui ont ouvert toute grande la porte à de nombreuses revendications souvent fantaisistes et ridiculement indignes.
Deuxièmement, la forte répression contre les vendeurs à la sauvette qui ne peuvent supporter le désœuvrement, et qui veulent compter sur eux-mêmes pour participer à l’activité économique d’une part; et la marginalisation économique de ces diplômés des écoles supérieures, sans sources de revenus, qui se retrouvent en possession d’un diplôme qui ne vaut pas plus que le papier qui le justifie et qui ne peut leur ouvrir aucune perspective, d’autre part.
Et enfin, la troisième demande et qui à ce jour n’a pas été satisfaite, c’est l’amélioration de la vie du citoyen. Avant la révolution, on nous chantait que le taux de la pauvreté en Tunisie ne dépassait pas les 4 %, alors qu’en réalité il était de 24 % et nous savons aujourd’hui que ce taux de pauvreté est de 16 %.
En 60 ans d’indépendance, notre pays a connu un taux d’analphabétisme frôlant les 18 % soient deux millions de citoyens tunisiens analphabètes, selon les chiffres officiels, dont 2/3 des femmes rurales.
Et d’un autre côté, on a toujours crié haut et fort que la Tunisie du 21e siècle est une ‘’société de la connaissance’’. C’est de la pure démagogie et l’on vit encore dans la démagogie et les promesses inappropriées ou vides de sens. Et pour cause, puisqu’elles ont été les facteurs économiques et sociaux qui avaient déclenché le soulèvement populaire évinçant Zine el-Abidine Ben Ali du pouvoir en 2011.
Et M. Radhi Meddeb de conclure : « Les Tunisiens avaient cru aux promesses faites aux dernières élections, aujourd’hui, il va falloir afficher une volonté politique claire et ambitieuse et des réformes objectives et plus efficaces pour sortir le pays de la crise inacceptable et œuvrer pour le bien-être des citoyens. »