Interviewé par par notre magazine mensuel Le Manager n°211 (disponible dans les kiosques), Aziz Mebarek, cofondateur du groupe avec Ahmed Abdelkefi, Ziad Oueslati et Karim Trad d’AfricInvest n’a pas hésité un instant à partager avec nos lecteurs les fruits de son expérience. Entrepreneurs et managers trouveront dans cette interview conseils et recommandations quant à la levée de financements ou pour se développer sur le marché africain. Les décideurs politiques y verront certainement des messages d’un homme qui a su imposer la réussite à l’échelle nationale et internationale.
Le Manager : Que pourrait apporter AfricInvest et le private equity en général pour une PME tunisienne notamment en phase de démarrage ?
Aziz Mebarek : A mon avis, l’effet de levier pour nos PMEs devrait être le plus réduit possible pour les activités en démarrage. Les années de démarrage sont toujours compliquées et rien ne se passe comme prévu pour les sponsors. Les entreprises qui ont des fonds propres suffisamment solides ont beaucoup plus de chances de réussir leur décollage. Ma recommandation aux jeunes entrepreneurs qui démarrent est de ne pas hésiter à recourir aux ressources institutionnelles et à opter pour des modèles de financement où le niveau d’endettement est le plus faible possible voire nul. Ensuite, quand le modèle accroche et que se dégage une visibilité sur la capacité de l’entreprise à générer du cash, l’entrepreneur peut à ce moment calibrer le niveau d’endettement au cash effectif.
A titre d’exemple, l’équipe d’Esprit que je connaissais et dont j’ai pu apprécier les qualités académiques du temps où j’étais examinateur de Mathématiques à l’IPEST et membre du premier conseil scientifique de l’Ecole polytechnique de Tunis, nous a sollicités en nous présentant un business plan qui comportait un levier important. Je leur ai dit : « Nous sommes p rêts à vous soutenir et même à vous accueillir chez nous pour incuber votre projet. En revanche, il faut partir sur un schéma à zéro dette». L’activité est sensible et on ne peut imaginer des étudiants en classe et un huissier arriver pour réclamer le paiement d’une échéance impayée. Ces éducateurs valeureux ont privilégié la qualité du projet à ce qui pouvait paraître comme étant leurs intérêts personnels immédiats. On connaît la suite.
Ce modèle induit d’abord une évolution du marché des fonds propres, notamment au niveau réglementaire et l’encouragement des jeunes à aller vers les métiers de gestionnaires de fonds. Il faut donner leur chance à des jeunes, certes sans expérience spécifique dans le métier du Private Equity, mais qui connaissent le monde de l’entreprise et disposent de qualités humaines et de bonne volonté, d’énergie et de persévérance pour réussir. Je pense que le rôle de la Caisse des dépôts, comme c’est le cas de la BPI en France ou d’autres institutionnels de cette taille, est également de lancer de nouvelles équipes pour gérer des fonds et démultiplier l’offre de fonds propres en Tunisie notamment pour le capital-création. Bien entendu, la réussite du démarrage implique également la démultiplication des incubateurs et des accélérateurs. A ce titre, quelques initiatives aujourd’hui me semblent intéressantes, pertinentes et sérieuses. Il conviendrait de les encourager.
Quel financement conseillez-vous aux entreprises en démarrage ?
Franchement, je pense que les entreprises en phase d’«early stage » sont confrontées à plusieurs aléas et imprévus qui les éloignent de leur Business Plan de départ quand bien même ces entreprises sont dirigées par des entrepreneurs de qualité. Le recours au marché financier et même au marché alternatif peut de mon point de vue être trop risqué en phase de démarrage et avant que le modèle économique ne soit éprouvé. Je pense que l’apport d’un investisseur en private equity est d’emblée une gouvernance institutionnelle, un reporting de qualité, un oeil rivé sur le cash de l’entreprise, constituant ainsi un facteur clé voire déterminant de succès. Le gestionnaire de fonds s’acharne à éviter les situations de surendettement, à corriger le business modèle face à l’épreuve de la réalité qui contredit très souvent et très rapidement les «modèles excel ».
C’est ce qui est arrivé à toutes les entreprises en phase d’early stage que nous avons financées sans exception. L’important est de corriger rapidement le tir à l’aide des instruments de mesure et d’un tableau de bord qui permette de visualiser les écarts et les actions correctives à mettre en oeuvre mensuellement. Pour les entreprises en démarrage, nous insistons pour avoir une visibilité hebdomadaire sur la situation de trésorerie de la société. L’objectif n’est pas d’être intrusif, mais plutôt de donner aux chefs d’entreprise et aux sponsors les moyens de mesurer et de corriger.