Partir en Syrie, en Irak, ou vers d’autres pays là où il y a des zones de tension comme le Mali suscite des vocations parmi certains jeunes Tunisiens prompts à rejoindre des organisations terroristes. Quelles sont les raisons qui les poussent à s’y rendre ? Pour comprendre ce phénomène, leconomistemaghebin.com a interviewé Mohamed Jouili, sociologue et directeur de l’Observatoire national de la jeunesse, qui fait le point sur le processus de recrutement de ces jeunes Tunisiens en Syrie et nous livre sa vision sur leur sort après leur retour en Tunisie. Interview…
leconomistemaghrebin.com : Le recrutement des jeunes par des groupes terroristes est-il un phénomène vieux comme les Etats ou un phénomène nouveau ?
Mohamed Jouili : Ce n’est pas un phénomène qui est nouveau car le terrorisme est international et ne connaît donc pas de frontières. Mais quand on parle de ce phénomène on parle du mode de recrutement, on se pose d’abord deux questions : pourquoi recrute-t-on et comment ? Le mode de recrutement se fait dans les mosquées qui ne sont autres qu’un terrain propice à l’endoctrinement et bien entendu la Toile, c-à-d, les réseaux sociaux, en particulier Fb. Ces personnes qui recrutent, on les appelle des chasseurs de tête. Il y a aussi ce qu’on appelle aussi un recrutement spontané, et ceci nous le retrouvons dans les quartiers populaires, à travers le cercle du voisinage, les proches, au lycée, les cercles d’amis. Personnellement, je pense que c’est à travers ces trois canaux que se fait le recrutement des jeunes.
Comment peut-on détecter leur recrutement ? A partir de quel âge ?
On parle d’une tranche d’âge de 15 et 16 ans qui sont en crise d’adolescence. Cela peut aller jusqu’à 35 ans mais c’est à partir de l’adolescence que ça devient plus inquiétant.
Peut-on parler de recrutement de masse en Tunisie ?
Du moment que nous avons 5000 jeunes Tunisiens qui se sont rendus en Syrie, en Irak, en Libye, et les 10000 autres interdits de voyager, nous arrivons ainsi à la conclusion qu’il s’agit en effet d’un recrutement de masse. Il y a aussi ce qu’on appelle des cas isolés, l’autorecrutement par exemple. Cela signifie que le jeune prend la décision de partir, et là on évoque les cas des diplômés comme l’exemple des ingénieurs.
Craint-on quelque part leur retour en Tunisie ?
Oui, en effet, il y a une crainte de leur retour. Mais là il faudrait commencer à réfléchir : à leur retour que faut-il faire ? Il faut commencer à dialoguer avec eux. Et ceci englobe tout le monde, les partis politiques, le gouvernement, la société civile. Nous avons 500 qui sont déjà rentrés, je dirais aussi qu’il y aura des milliers d’autres avec lesquels nous nous retrouvons dans la même situation, parce que tôt ou tard, le problème de la Syrie sera finalement résolu. Il faudrait donc commencer à réflechir à des solutions dès maintenant.
L’Etat est-il apte à les reprendre ?
C’est un vrai débat qui fait polémique et un travail de fond auquel on est confronté. On parle d’un encadrement national, voire une réintégration, mais il va sans dire après avoir purgé leur peine. La principale difficulté c’est de déterminer qui a tué, qui a porté des armes et qui s’est contenté de suivre. Comment prouver justement cela ? C’est loin d’être facile. Quant aux autres qui n’ont jamais porté d’armes, il faut penser à les récupérer, à leur donner une nouvelle chance.
Vous dites qu’il faudrait leur donner une chance. Ces individus ont ancré en eux une idéologie terroriste même s’ils n’ont pas porté d’armes. Sont-ils récupérables ?
Oui, on peut les récupérer. Il faut se rappeler aussi comment ils ont été recrutés par ces groupes terroristes, il faut aussi avoir une stratégie pour les récupérer de nouveau.
Par quels moyens ?
Ceci à travers le dialogue, l’encadrement, la communication, un discours religieux parce qu’ils ont été endoctrinés par un islam qui n’est pas le nôtre. Il faut prévoir une réintégration par le bénévolat, à travers des associations. Pour ceux qui ont choisi de retourner à la citoyenneté, d’être de nouveau près de leurs familles, ces personnes-là regrettent d’être devenues terroristes. C’est à l’Etat de les récupérer en collaboration avec la société civile. Ce qui donnera des signaux positifs aux autres aussi.
Comme on est à l’approche d’une rentrée scolaire et universitaire, il y a des jeunes qui peuvent être facilement endoctrinés…
Là, je dirais c’est le rôle de la famille, il faut les sensibiliser. Suivre son enfant, discuter. On parle d’isolement, parce qu’il se met en retrait de sa famille, plus de hobbies, il est entré dans une nouvelle famille, il se crée une nouvelle famille.
Selon vous, quelle(s) serai(ent) la ou les solutions pour lutter justement contre ces organisations terroristes ?
Il faut travailler sur le message, à travers des campagnes de sensibilisation, puisque on parle d’entrepreneuriat identitaire. Nous sommes face à une guerre numérique basée sur des messages, une guerre de communication. Il faut s’attaquer aux messages de Daech. Et surtout, il faut essayer de donner un sens à la vie de ces jeunes, avoir une infrastrucure, réduire les disparités régionales. Il faut restaurer la confiance entre l’Etat et les jeunes. Cela leur permettra de mieux résister aux sirènes du recrutement.
Comment voyez-vous l’avenir dans les cinq prochaines années ?
Nous avons une autre chance de sortir de cette galère, il faut innover, mettre un terme à la bureaucratie, et avoir des idées nouvelles, avoir de l’audace, de la volonté à aller de l’avant.
Quel message adresseriez-vous aux jeunes ?
La démocratie a besoin des jeunes.