La rentrée politique a été marquée par les débats sur la réconciliation nationale. Fallait-il accorder la priorité aux problèmes de l’heure, ou plutôt transgresser la pesanteur géopolitique, relativiser les attentes sociales et occulter le grave défi sécuritaire, pour prolonger l’élan révolutionnaire, par la mise à l’ordre du jour des procès, de ceux qui ont constitué l’Establishment pré-révolution ?
Devait-on consacrer et instituer « la chasse aux sorcières » contre les hommes de l’ancien régime et tout l’appareillage administratif et économique, qui a tout simplement vaqué à ses affaires, durant une conjoncture difficile pour tous ? Au cours de la révolution égyptienne, des parvenus et des extrémistes ont voulu exclure la grande vedette arabe Oum Kalthoum, sous prétexte qu’elle a chanté devant le roi Farouk.
Réponse de Nasser, faut-il alors exclure le soleil qui continuait à paraître également, sous Farouk ? Fallait-il mettre en prison Voltaire, qui a vécu sous l’ancien régime français ? Gravité de la dérive, certains osent même culpabiliser les fondateurs de la République, ceux qui ont créé, développé ou dynamisé les institutions de l’Etat et mis sur le compte des acquis et pertes, la généralisation de l’enseignement, le développement des structures de santé, la promotion de la femme, la création d’une infrastructure routière et hydraulique pertinente etc.
Trois manifestations contre la loi de la réconciliation ont été organisées, samedi 12 septembre 2015. La première fut organisée par le Front populaire, Al Massar, le Parti socialiste de gauche ainsi qu’un collectif de la société civile. La deuxième manifestation réunit cinq partis, à savoir le Parti Républicain, le Courant démocratique, l’Alliance démocratique, le Mouvement du peuple, Ettakatol ainsi que le collectif de la campagne « Manich Msameh » (Je ne pardonne pas).
La troisième et dernière manifestation fut organisée par le CPR. Notons que le Front et Al Massar ont refusé de manifester côte à côte avec le parti d’Imed Daïmi. Transgressant l’état d’urgence et l’absence d’autorisation de la part du ministère de l’Intérieur, les manifestations se déroulèrent dans le calme. Retour aux normes, les organisateurs et les services sécuritaires ont assuré les conditions adéquates d’une libre contestation populaire.
Point de marée humaine, la participation aux manifestations, fut modeste : près de 1200 pour la manifestation de la gauche et quelques centaines appartenant aux partis CPR, Attakattoul, al-Joumhouri et de leurs alliés, parmi les perdants aux élections. L’évaluation des manifestants confirme les résultats des élections, qui ont assuré une majorité confortable aux deux grands partis Nida Tounes et Ennahdha. L’opposition tenait à exprimer une contestation populaire, susceptible d’entraîner la chute du gouvernement. Ce fut, en réalité « un nuage d’été », qui flotte à la dérive et qui est souvent prompt à se dissiper. En tout cas, il n’annonce point la tempête.
Autre leçon à retenir : L’opinion publique fait valoir plutôt les attentes sociales, le niveau de vie, la précarité, le chômage, le développement régional. Sérieux avertissement des citoyens, à tous les acteurs, gouvernants et opposants ; ne perdez pas de vue les « inquiétudes des fins de mois », que les surenchères ne sauraient occulter.