La naissance du « forum de la famille destourienne », annoncée lors de la conférence de presse du jeudi 10 septembre 2015, ne constitue guère une valeur ajoutée à Nida Tounes. Elle traduit plutôt des velléités de se démarquer de son discours fondateur, en faisant valoir la définition alternative : « Mouvement centriste, islamiste et tunisien ». Le slogan évoqué : « De Abdelaziz Thaalbi à Béji Caïd Essebsi« , qui omet le pole moderniste bourguibien, est bien significatif.
Corrigeons d’abord la donnée de base: le Destour a été certes créé par Abdelaziz Thaalbi, en 1920. Mais en dépit de l’ouverture d’esprit de son fondateur – a-t-on oublié sa participation avec César Benattar et Hédi Sebai à la rédaction du livre-manifeste » L’esprit libéral du Coran, en 1905 ! – le parti était essentiellement formé de notables nationalistes, privilégiant le travail de protestation, la rédaction des motions et une praxis de salon. Habib Bourguiba et ses amis, qui ont suscité la scission de 1934, ont fait valoir la participation populaire, la contestation sur le terrain, avant le passage à la lutte armée. Participant largement à cette redéfinition de l’action politique, Habib Bourguiba l’a enrichie par « la politique des étapes » et la prise en compte du soutien international. Assumant le pouvoir, en tant que chef d’Etat, Habib Bourguiba a mis en valeur, comme priorité, la généralisation de l’enseignement, la mobilisation sanitaire, l’émancipation de la femme, le développement du planning familial et le souci du quotidien. Pouvait-on ignorer cet idéaltypus de réformes globales et des acquis qui en découlent ?
Cette occultation d’Habib Bourguiba est surprenante. La référence à sa personnalité a constitué la pièce maîtresse du discours fondateur de Nida Tounes et l’argument essentiel de la campagne électorale de Béji Caïd Essebsi, fondateur de ce parti. Proche collaborateur d’Habib Bourguiba, admirateur de son œuvre, étudiant de son école, Béji Caïd Essebsi peut difficilement admettre cette omission. D’ailleurs, la jeunesse de l’époque – voir l’exemple édifiant du leader Ahmed Mestiri – a bel et bien opté pour le Néo-Destour, et non le Vieux Destour. Autre considération idéologique, le Néo-Destour s’est érigé en continuateur de l’ère des réformes du XIXe siècle et a intégré la pensée de Tahar Haddad, Mhamed Ali Hammi. Il a opté pour une alliance organique avec le mouvement syndical, dirigé par le leader Farhat Hached.
Le projet de « Forum de la famille destourienne », occultant le rôle des acteurs essentiels du Néo-Destour,camoufle un débat d’idées. Il met à l’ordre du jour un combat de chapelles. Esquisse-t-il des velléités de rapprochement avec an-Nahdha, puisque les promoteurs du nouveau forum attribuent au Destour le qualificatif d’islamisme, anachronisme par rapport au mouvement national ? Le parti national, dans ses deux versions successives, n’a jamais fait de démarcation entre les Tunisiens, qui étaient en grande majorité musulmans.
Peut-on oublier que « le vote utile » défendu par Nida Tounes, lors des dernières campagnes électorales? Il concernait la concurrence idéologique et identitaire avec le parti an-Nahdha ? Prenons la juste mesure de la gravité de détournement idéologique de Nida Tounes. Corrigeant le tir et effectuant un retour aux normes, le Secrétaire Général de Nida Tounes a déclaré que le grand-père de Nidaa est Habib Bourguiba, fondateur du Néo-Destour en 1934 et premier Président de la République Tunisienne.
«Nous sommes, dit-il, de nouveaux bourguibistes et les militants de Nidaa n’ont aucun parent commun avec aucun parti avec qui nous divergeons idéologiquement».Ce correctif rejoint la pensée du noyau dur de Nida Tounes et remet en question l’opération tactique de compromis, sinon de compromission, qui ignore la bipolarité idéologique dominante, aux dépens de la grande mouvance moderniste qui domine au sein de Nida Tounes.