Comment le projet de loi de réconciliation nationale est-il perçu par les Tunisiens ? Selon un sondage effectué par Sigma Conseil, sur un échantillon de 1159 personnes interrogées, neuf sur dix n’ont pas lu le projet, soit 90.2% qui ont répondu par un « non », contrairement à 8% qui ont dit “oui partiellement”. Tandis que seuls 1.8% ont lu le contenu. Mais les avis restent toutefois divergents. Pour une bonne partie des Tunisiens, 70.1% d’entre eux le mot lexical réconciliation en arabe ( Mosalha) est un mot positif, “ est qu’il faut la faire”, a déclaré Hassen Zargouni, expert auprès de l’Union européenne et Consultant à la Banque mondiale.
D’un autre côté, 45.2% des sondés ne sont pas d’accord, alors que 35.2% ne sont pas du tout d’accord pour le principe de la réconciliation”.
La question qui a été débattue est : “Avons-nous deux Tunisie?”, du moment que les Tunisiens sont divisés entre les “pour” et les “contre”.
En s’appuyant sur le sondage, Hassen Zargouni a estimé “ plus on est jeune, plus on est contre”, ajoutant entre autres : “ Plus on avance dans l’âge, plus on devient accommodant ”.
Présente lors de ce débat, Hager Ben Cheikh Ahmed, constitutionnaliste, experte en justice transitionnelle, estime que “ cette loi divise les Tunisiens”, précisant “ que nous n’avons pas de modèle de justice transitionnelle”.
Quoique elle ajoute : “Nous ne savons pas qui sont ces personnes sur la liste dont on entend parler, d’autant plus que l’Etat lui-même n’a pas encore procédé à une enquête approfondie sur le sujet”. Et de poursuivre : « En fait pour pouvoir pardonner, il faut que les gens puissent savoir la vérité ».
De son côté Zied Krichen, journaliste et directeur de la rédaction du journal “Le Maghreb,” estime que “ nous avons plusieurs Tunisie en fait, une Tunisie ancienne qui se réfère au régime de Ben Ali et qui serait disposée à pardonner et des « Tunisie nouvelles », qui seraient contraires à la réconciliation ». Et il ajoute : » Les temps sont-ils mûrs pour une réconciliation effective, quatre ans après la révolution ?”
Lotfi Dammak, conseiller auprès du Président de la République, a fait savoir que pour lui la réconciliation existe bel et bien dans la loi 53-2013, soulignant : “ Il s’agit de la dernière étape du processus de la justice transitionnelle. C’est-à-dire on intègre toutes les étapes de la mise en œuvre pour qu’au final on dévoile la vérité, mais qu’on parle de réconciliation maintenant ou plus tard cela revient au même car de toutes les manières, nous reviendrons sur ce sujet.”
Mais la question qui selon lui mérite une réflexion : “Des hommes qui ont tiré profit de la situation et qui sont interdits de voyage, faut-il attendre quatre ans après en avoir fini avec la justice transitionnelle pour traiter leurs dossiers ? » Pour lui, la meilleure solution est la création d’une nouvelle commission qui plancherait sur ces dossiers et qui serait composée de 7 membres, dont deux membres de l’IVD, avec 4 membres représentant des ministères et le chargé du service contentieux de l’Etat. Et que l’IVD devra étudier d’autres dossiers comme celui des atteintes et violations des droits de l’Homme.
Interrogé sur le nombre de personnes qui sont impliquées dans ces affaires, il a répondu :“Nous n’avons ni la connaissance du nombre, ni le nombre de personnes interdites de voyage”.
A-t-on réalisé jusqu’ici une justice transitionnelle? L’avocat Ghazi Mrabet a répondu par un non, pour lui, : “ Nous avons des lois qui ont été votées depuis la révolution, je n’ai pas l’impression que justice ait été faite, parce que finalement les victimes n’ont pas été indemnisées, parce que les bourreaux de l’ancien régime sont encore en liberté, hormis quelques-uns qui se trouvent en prison”.
Evoquant le sort des fonctionnaires publics qui ont commis des actes de corruption, Maître Mrabet a fait quelques réflexions au cas où on opterait pour la réconciliation économique : ces personnes rompues à la corruption, une fois réintégrées dans leurs fonctions, quelle garantie avons-nous qu’elles ne commettront pas de nouveaux crimes?
Pour lui, il faudrait déjà réfléchir à introduire un texte de loi, dans le cas où elles commettraient, après leur réhabilitation, d’autres malversations : “Quelle sera leur peine? Tout ceci demande des amendements, et un travail de fond”, a-t-il conclu.