La réflexion sur la gouvernance mondiale n’a pas de sens si on ne définit pas ce que la notion de bien public mondial veut dire. Plusieurs biens peuvent être classés sous l’égide de biens publics mondiaux. On peut citer à titre indicatif : la sécurité internationale, la stabilité politique globale, la stabilité économique, l’environnement, l’assistance humanitaire ou encore l’avancement des connaissances. Ceci est ce qui est du moins reconnu officiellement ; et c’est d’ailleurs l’une des raisons d’être des institutions du système des Nations unies afin de pouvoir disposer d’un moyen, à l’échelle mondiale, de gouverner et de réguler la sécurité internationale et ses externalités.
Les institutions créées après la Seconde Guerre mondiale visaient à accroître la stabilité de l’économie mondiale, et donc à hâter la prise de conscience que celle-ci est un bien public mondial. L’ensemble des pratiques homogènes sur un marché donné est un bien public mondial ; l’institution d’une palette judicieuse de pratiques homogènes sur un marché peut contribuer à améliorer l’efficacité des marchés de biens, de services et de capitaux. Il est évident que le développement de ces pratiques implique des gains d’efficacité considérables…, mais au profit de qui ? En effet, il y a bien longtemps déjà que l’on a reconnu à la stabilité économique mondiale la caractéristique d’externalité internationale : un ralentissement économique dans un pays peut avoir des effets sur l’économie d’autres pays.
La mondialisation et l’engagement collectif … au profit des puissances et de leurs alliés !
La mondialisation se développe, se consolide et se propage et il en résulte une intégration plus grande des pays du monde qui se rapprochent les uns des autres. Il s’agit d’un rapprochement commandité ; consolidé par la réduction des coûts de transport, l’émergence et la réduction des TIC et par une abolition ‘’orchestrée’’ de nombreux obstacles institutionnels, qui rend la gestion des biens publics mondiaux et de ses externalités de plus en plus centrale. A mesure que cette économie mondiale se renforce, la nécessité de l’engagement collectif est ressentie comme étant de plus en plus pressante. Il faut comprendre à ce sujet qu’un engagement collectif global, porté par une communauté ‘‘restreinte’’, devient potentiellement de plus en plus efficace à mesure que les biens publics mondiaux et les externalités, positives et négatives, montent en puissance.
Pour exister, cet engagement collectif nécessite des outils de prise de décision, que nous pouvons nommer ‘’gouvernance mondiale’’. Ce mécanisme s’est développé depuis des décennies de manière commanditée et orchestrée et correspond, de nos jours, à un système de gouvernance mondiale sans gouvernement mondial ‘’apparent’’. Ce gouvernement mondial est substitué par un réseau complexe d’arrangements internationaux, qui, pris ensemble, forment la gouvernance mondiale. Ce réseau comprend de nombreux traités internationaux et un ensemble de lois et conventions internationales, plusieurs traités comprenant en outre des outils de prise de décision. Qui plus est, de nombreuses décisions touchant à l’économie mondiale sont prises dans le cadre des institutions internationales du système des Nations unies, notamment le Fonds Monétaire International ( FMI ), la Banque Mondiale ( BM ) et l’Organisation Mondiale du Commerce ( OMC ). Le problème vient de ce que, faute d’un véritable gouvernement mondial, ces institutions sont gravement défaillantes… Pis encore, ces institutions sont au service des puissances !
L’OMC, le FMI et la BM : des institutions ni démocratiques ni transparentes au service des riches…
Les riches continuent à s’enrichir, les pauvres à s’appauvrir! Toutes les institutions internationales ne sont ni démocratiques ni transparentes, elles réfuteraient cette accusation, en invoquant l’existence de mécanismes de vote contrôlés par des règles rigoureuses:
– Au FMI, seul les Etats-Unis d’Amérique possèdent le droit de veto, alors que ses décisions affectent des millions de personnes de par le monde;
– Les droits de vote sont déterminés par l’étendue du pouvoir économique, telle que fixée à la fin de la Seconde Guerre mondiale, à quelques ajustements près faits depuis. Ceci explique pourquoi les pays qui font aujourd’hui, et plus encore demain, la croissance mondiale et surtout le bonheur des puissants, y sont sous-représentés.
Ces institutions ne sont pas transparentes : l’idée que les citoyens pourraient avoir une vision prospective de leurs activités et projets est inacceptable par ces institutions internationales. Le contraste entre celles-ci et les institutions nationales »démocratiques » est à cet égard surprenant. Aux Etats-Unis, le ‘’Freedom of Information Act’’ symbolise la préoccupation fondamentale du gouvernement travaillant pour son peuple : un citoyen américain peut ainsi s’enquérir de ce que font les différentes agences gouvernementales, l’accès à l’information étant large, ce dont dépend d’ailleurs la presse pour faire son travail. Cette caractéristique essentielle de la démocratie est absente des grandes institutions internationales… Et c’est voulu : un citoyen américain ou français ne peut pas savoir ce que font ses représentants au FMI ou comment ils votent sur tel ou tel sujet car cette information est tenue secrète… De toute façon ils n’ont pas grand-chose à perdre, c’est fait spécialement pour leur intérêt au détriment des autres!
Une structure décisionnelle façonnée selon les désirs et carismes des maîtres du monde!
Les membres de l’OMC et du FMI sont les ministres du Commerce extérieur, les ministres des Finances et les représentants des banques. Les spécialistes de protection sociale, de recherche, de l’environnement, … ou encore de justice, dont les champs de compétence seraient également pertinents et déterminants dans les discussions et les négociations, sont exclus de celles-ci. Seuls les banquiers et les ministres des Finances participent aux décisions qui touchent au système financier international au sein du FMI, et seuls les ministres du Commerce extérieur sont admis à la table de l’OMC. Ceci implique par exemple que si l’on débat à l’OMC de décisions qui peuvent affecter l’environnement, les conséquences environnementales qui en résulteraient n’auront que peu de poids dans la discussion et donc dans la décision. C’est normal, puisque tout se passe ailleurs!
Les magouilles des institutions internationales
Deux problèmes résultent de la manipulation des institutions économiques internationales. Le premier problème est que des défaillances décisives de marché ne sont pas réglées : certains biens publics mondiaux devraient être produits et fournis aux populations et ils ne le sont pas, certaines externalités globales devraient être prises en compte et elles ne le sont pas… Bien au contraire, le produit de ces biens est détourné au profit des riches pour qu’ils s’enrichissent davantage et pour que les pauvres s’apprauvissent encore plus !
Le second problème tient au fait que la scène internationale est souvent manipulée. En revanche, pour trouver des solutions à des problèmes qui n’ont rien à y faire et que les acteurs de ces institutions tentent de régler à l’abri de l’opacité et du secret, ce qu’ils ne pourraient justement pas faire dans le cadre démocratique national. Et pourtant, ça se passe toujours comme ça, … pour consolider la domination des riches !
Les origines du système financier international : une excellente initiative avec des objectifs nobles… Mais…
A la fin de la Seconde Guerre mondiale, le problème international auquel on accordait le plus d’importance était le fait qu’un ralentissement dans un pays était susceptible de nuire à un autre pays. Pour comprendre la raison de la création du FMI, il faut revenir à la crise de 1929 et de la première moitié des années 1930.
En effet, l’économie mondiale, ayant traversé la crise de 1929, s’est rapidement heurtée à la Seconde Guerre mondiale ; de nombreux observateurs craignaient en 1945 qu’elle ne retombe dans la récession et le sous-emploi. Les institutions économiques internationales furent créées, dans le temps, pour empêcher que cela ne se produise, sous prétexte que ce risque n’était ni local, ni national mais bien global. Mais comment permettre à des pays dont l’instrument monétaire pouvait ne pas être disponible ou ne pas bien fonctionner d’utiliser l’outil budgétaire pour sortir de la récession ? Il fallait leur permettre d’emprunter au plan international … et c’est là que commence les problèmes !
… Le renversement de la doctrine internationale
Le changement de doctrine internationale a été spectaculaire dans la période récente : à l’inverse de son objectif initial, le FMI ne prête aujourd’hui aux pays en difficulté que s’ils acceptent de suivre une politique économique restrictive, ce qui revient à conseiller à un pays qui traverse une récession d’aggraver davantage cette mauvaise passe, … pour consolider la dominance des plus riches.
Les politiques qui causaient tant d’inquiétude dans l’entre-deux guerre étaient les politiques commerciales non-coopératives, »le protectionnisme » : les pays qui connaissaient des difficultés économiques importantes imposaient des taxes douanières prohibitives à leurs voisins dans le but de réduire les importations et d’augmenter la demande pour les produits domestiques. Bien entendu, le pays qui agissait ainsi améliorait sa situation au détriment de celle de ses partenaires commerciaux, dont la demande extérieure chutait brutalement.
Le FMI a depuis inventé un autre type de politique non-coopérative : la politique économique contre soi-même! En plus des pays voisins qui subissent des effets des politiques restrictives, le pays qui les met en œuvre n’en profitent même pas : ces politiques réduisent la demande intérieure et les importations dans le même mouvement. C’est ce genre de stratégie économique vicieuse, au terme de laquelle tout le monde y perd, qui a été mise en œuvre au cours de la crise asiatique de 1998, avec les résultats que l’on connaît. Or, comme on l’a vu, le mandat initial du FMI n’était pas de pousser les pays à accentuer leur récession en y entraînant leurs partenaires commerciaux : »L’objectif initial des penseurs du FMI était d’améliorer la stabilité du système économique mondial !!!
L’action du FMI en de nombreuses occasions a hélas abouti au résultat exactement inverse, c’est-à-dire à un monde plus instable et la promotion de la libéralisation des marchés de capitaux a joué un rôle clé dans l’avènement de cette nouvelle instabilité globale !
La libéralisation des marchés de capitaux
En 1997, lors d’une réunion à Hong Kong, le FMI avança l’idée »géniale » que les pays membres devaient ouvrir complètement leurs marchés de capitaux aux investissements spéculatifs de très court terme. Cette décision n’aurait pas pu intervenir à un plus mauvais moment : les observateurs du système financier international craignaient que l’Asie du Sud-Est ne plonge dans une lourde crise financière du fait précisément de ces mouvements de capitaux. Il était frappant de constater alors qu’aucune étude ne permettait de défendre les bienfaits de la libéralisation financière : rien ne prouvait que cette ouverture brutale pouvait avoir des effets bénéfiques pour la croissance et l’emploi des pays en voie de développement !
Les études disponibles pointaient même dans la direction opposée : les mouvements de capitaux spéculatifs ont déstabilisé les économies fragiles. Les données propres du FMI sur 100 pays du monde au cours des trente dernières années montrent que la libéralisation financière est étroitement associée à l’instabilité économique,… mais c’était toujours au détriment des plus riches… Quelle coïncidence !
Pourquoi le FMI a-t-il alors tenté, et en partie hélas réussi à imposer cette libéralisation à travers le monde en outrepassant son mandat ?
Comme dans le cas des politiques économiques restrictives, les externalités négatives engendrées par l’instabilité liée à la libéralisation financière sont considérables. Le FMI a certes révisé sa position depuis en reconnaissant le lien entre libéralisation et instabilité et il s’est fait bien plus prudent sur les bienfaits de l’ouverture financière. Pour autant, cet agenda n’a pas disparu de la scène internationale : il s’est déplacé sous l’influence européenne et américaine du FMI vers l’OMC. Les nouveaux enjeux des négociations commerciales au sein de l’OMC, les »Questions de Singapour » se sont ainsi imposées aux enjeux plus anciens tels que les questions agricoles ou le marché des services et la question de la libéralisation financière, dans les pays en voie de développement est revenue sur le devant de la scène. Cette fois, cependant, les pays en voie de développement ont pu prendre appui sur le résultat de la recherche académique et cette tentative de libéralisation est apparue pour ce qu’elle était : une requête fondée sur des intérêts privés plutôt que sur l’intérêt général global.
Mais de nombreuses questions touchant à la gouvernance mondiale ne trouvent aujourd’hui pas de réponse compte tenu du caractère défaillant du système économique international actuel, … un atout majeur pour les pays riches. Le traitement des risques par les marchés internationaux est ainsi particulièrement inquiétant. Dans la réalité, nous sommes loin d’assister au transfert supposé des risques, via les marchés de capitaux, de ceux qui ne peuvent pas les assumer vers ceux qui le peuvent. Les pays en voie de développement sont ainsi amenés à assumer des risques importants en termes de volatilité des taux de change et des taux d’intérêt dont les conséquences sont potentiellement dramatiques.
Le FMI se concentre à présent sur la question des »déséquilibres mondiaux » ! Une action qui doit le ramener vers son mandat initial qui était de garantir la stabilité de l’économie mondiale, mais cette réorientation est davantage théorique que pratique !!!
Comment se sauver du nouvel ordre mondial?
C’est une réalité amère de notre temps : le nouvel ordre mondial implique l’émergence et le développement des biens publics mondiaux, … au profit des plus riches bien évidemment. Le problème dans le système économique international actuel de gouvernance est que tout est géré sans gouvernement démocratique.
La réponse est très simple… compter sur soi et rien que sur soi, … sinon nos enfants vont payer le prix fort.